Retail 2027 : vers quel commerce alimentaire allons-nous ?
Par Clotilde Chenevoy | Le | Enseignes
D’ici 5 ans, quelles sont les grandes tendances attendues dans le retail alimentaire ? Cyrille Mallaret, directeur exécutif et responsable retail alimentaire chez Accenture France et Benelux, nous partage sa vision.
La crise sanitaire a changé la donne, rebattant les cartes et accélérant des tendances. Mais pour se projeter, Cyrille Mallaret, directeur exécutif et responsable retail alimentaire chez Accenture France et Benelux, tient à souligner deux facteurs démographiques. Ainsi, 30 % de la population en 2021 sera composée de Millenials, soit une génération digital native. « Et cette proportion va aller croissant », souligne le directeur exécutif. Parallèlement, 50 % de la population à plus de 40 ans. « Cela crée un écart-type important pour les retailers et leur vrai défi est de répondre aux attentes de ces consommateurs en tenant compte des habitudes de consommation très différentes », analyse Cyrille Mallaret.
L’autre tendance de fond qui vient changer le paysage du commerce alimentaire est l’accélération de l’e-commerce qui atteint désormais 15 % du chiffre d’affaires. Mais « la rentabilité de ces business reste toujours complexe », pointe l’expert.
L’émergence des nouveaux business va s’accélérer
Face à ces éléments de contexte, plusieurs facteurs vont évoluer dans les années à venir dont une intensification du mouvement vers de nouveaux business. “Les retailers cherchent à capter des marges avec de nouveaux services”, explique Cyrille Mallaret.
- Le retail media :
Casino avec RelevanC ou Carrefour avec Links se sont déjà emparés de ce sujet en créant des structures au sein de leurs groupes afin de monétiser leurs données. Des investissements énormes ont été réalisés pour rendre les datas intelligibles et ainsi pouvoir partager des informations business ou comportementales sur les clients. On n’en est qu’au début de l’aventure. Il reste encore beaucoup de pédagogie à faire pour expliquer toutes les possibilités qu’offrent la data et le retail media.
- Le quick commerce :
La livraison express en quelques dizaines de minutes devrait encore prendre de l’ampleur. Deux modèles se développent. Celui comme Gorillas qui se positionne en frontal avec les supermarchés et l’e-commerce et celui comme Everly qui propose une nouvelle manière de consommer. “Même si la question de la rentabilité du modèle se pose, il y a des levées de fonds importantes, souligne le directeur exécutif d’Accenture. La valorisation de ces sociétés repose surtout sur la capacité à prendre des parts de marché, plus que sur leur rentabilité.”
- Le food retail :
Les enseignes veulent proposer des solutions clés en main pour que les Français se restaurent, cela peut être des paniers recette ou des offres toutes prêtes. “On reste encore pour l’instant sur des croissances faibles mais il y a des parts de marché à aller chercher, insiste l’expert d’Accenture, car la la restauration sur site a baissé mais les besoins des consommateurs perdurent.”
Derrière ces nouveaux business, il y a la question sous-jacente de la donnée client. Selon Cyrille Mallaret, « avec la multiplication des services, il sera important de pouvoir capitaliser sur tous les points de contact qu’un consommateur aura avec une enseigne afin d’avoir une vision cross-business. La vraie différence sera dans l’approche omnicanal du client. »
La fusion de l’e-commerce alimentaire et non-alimentaire
Des grandes manœuvres sont actuellement en cours pour que les produits alimentaires et non-alimentaires soient accessibles pour le client sur un même site. En effet, actuellement, ses activités sont souvent séparées, créant des irritants d’un point de vue client.
« Les acteurs traditionnels ont une volonté de revenir sur le non alimentaire, ces produits sont générateurs de marges et vont certainement venir aider à rendre les activités e-commerce rentables, décrypte Cyrille Mallaret. En revanche, cette approche soulève de nombreuses questions sur les aspects logistique et implique des migrations techniques entre les systèmes d’information. Autrement dit, cela fait sens sur le papier mais la mise en place prendra du temps.
L’évolution des compétences et des collaborateurs
Le secteur de la grande distribution a perdu en attractivité et tous les acteurs font face à des problématiques de recrutement. »Ce sont des métiers pénibles et hyper exposés à la pandémie, résume le directeur exécutif d’Accenture. Cela pose la question de l’attractivité du job. Il est nécessaire de tendre vers un métier de chef de rayon augmenté pour aider dans la gestion du quotidien. Le digital doit venir en appui des collaborateurs.« Citons ainsi l’ajout de caméras pour suivre les ruptures en rayon ou l’état des rayons fruits et légumes, ou encore l’usage d’algorithmes pour mieux gérer les assortiments par rapport à la concurrence.
»L’intelligence artificielle va apporter beaucoup de choses, estime-t-il. On est encore dans des phases de pilotes mais il y a une vraie demande et cela devrait améliorer l’attractivité des emplois.«
Par ailleurs, les différentes enseignes s’organisent également en créant des écoles de formation. »Le retail a un rôle d’ascenseur social très fort et si on travaille bien, on progresse qu’importe la formation initiale, rappelle Cyrille Mallaret. Les académies permettent d’assurer une rotation des compétences dans les équipes et de faire monter en expertise le personnel.«
Un positionnement qui se polarise
Pour l’expert d’Accenture, le positionnement tarifaire des enseignes va se polariser avec d’un côté le discount et les prix bas et de l’autre des enseignes avec des services et une expérience client plus poussés. »La France compte 15 % de personnes en situation de précarité suite au COVID et l’on constate une réelle montée en puissance des hard discounters allemands comme Aldi ou Lidl, analyse-t-il. Carrefour veut répliquer avec Supéco et programme l’ouverture de 300 points de vente. Il y a également de nouveaux acteurs étrangers comme le russe Mère qui veulent entrer dans la bataille. D’ici 2027, la part des hards discounters va encore augmenter.«
De l’autre côté, les enseignes vont chercher à se différencier sur l’expérience client avec le déploiement de service afin de fidéliser davantage leurs clients. »Il y a une montée en gamme dans la relation consommateur et le positionnement moyen de gamme devient compliqué, estime Cyrille Mallaret. Baisser le temps d’attente en caisse ou fraîcheur des produits, tous les irritants sont travaillés pour améliorer le NPS.«
Des formats hybrides
L’hyper mort ? Non, un ralentissement selon notre expert : »il y a une concentration de la population dans les zones urbaines, là où les hypers ne sont pas implantés. La fusion du online et du offline va permettre de faire évoluer les modèles et les zones de chalandises. Par ailleurs, les hypers vont pouvoir accueillir des zones de préparation de commandes, de plus en plus automatisés, pour soutenir la croissance e-commerce.« Les assortiments devront aussi évoluer avec moins d’articles de fonds de placard et plus d’articles à valeur ajoutée et une présentation plus aérée.
Concernant les formats de proximité, Cyrille Mallaret pointe l’émergence des concepts sans irritant. “Les gens vont consommer si on fluidifie au maximum les achats'', assure-t-il. Cette approche Payless plaît particulièrement aux millennials. La rentabilité n’est, là aussi, pas évidente mais cela viendra car il y a moins de personnel. Ces formats répondent aussi à la tendance du souci de recrutement.”
Concernant les franchises, notre expert annonce une bataille à venir autour des services afin de fidéliser les franchisés. Carrefour a récemment perdu son master franchisé en Belgique, le groupe Mestdagh, qui exploite une centaine de supermarchés Market. »Alibaba et Amazon proposent des suites très complètes et les enseignes traditionnelles doivent aussi aller capter leurs besoins« , estime-t-il.
En attendant des consolidations ?
Enfin, dans cette analyse à cinq ans du retail alimentaire, Cyrille Malleret s’interroge quant à l’arrivée d’Amazon dans la distribution physique car il est déjà présent aux Etats-Unis et au Royaume-Unis. »Cela va forcément arriver en Europe et en France« , estime-t-il. Autre question qui viendra changer le paysage : quand aura lieu la consolidation des intégrés ? »C’est indéniable car il y a un coût massif de la transformation qui suppose de disposer d’investissements colossaux, juge-t-il. Les rapprochements évoqués comme Auchan-Carrefour ferait d’ailleurs sens sur ce point. Les indépendants seront confrontés à la question du financement de ces investissements digitaux. Mutualiseront-ils les efforts entre enseignes ? »