Franchise, proximité, digital : la stratégie résiliente de Mr.Bricolage
À l’heure où les géants du secteur cherchent à se réinventer, Mr.Bricolage revendique la pertinence d’un modèle fondé sur la proximité, l’indépendance et l’agilité. Son directeur général Christophe Mistou revient sur le lancement de l’enseigne Relais, l’élargissement du réseau et les leviers activés pour faire rayonner la marque.

Comment s’est déroulée l’année 2024 pour Mr.Bricolage, et que peut-on dire de ce début 2025 ?
L’année a été difficile pour le marché du bricolage dans son ensemble. La Banque de France estime le recul sectoriel entre -6 % et -7 %. Chez Mr.Bricolage, nous limitons le repli à -3,5 % à magasins comparables. Ce sont surtout les projets structurants - rénovation énergétique, cuisine, salle de bain - qui ont reculé, impactant davantage les grandes enseignes. Notre format de proximité, axé sur les besoins du quotidien, a mieux résisté.
Nous avons néanmoins poursuivi nos investissements. Le chiffre d’affaires consolidé atteint 280,3 millions d’euros, en baisse de 4,4 %. Le volume d’affaires global s’établit à 2,18 milliards d’euros, dont 84 % en France. Fin 2024, notre réseau comptait 1 071 magasins, dont 994 en métropole. En un mois, ce chiffre est monté à 1 091, preuve de notre dynamisme. Notre situation financière s’est également renforcée. La dette nette a été ramenée à 2,7 millions d’euros (contre 14,9 M€ fin 2023), et la trésorerie atteint 47,2 millions d’euros. Ce résultat est lié à notre transformation en réseau 100 % franchisé, qui nous donne une grande agilité.
Début 2025, la tendance reste comparable à celle de l’an passé, avec une légère amélioration. Janvier et février, traditionnellement faibles, ont été suivis d’un mois de mars plutôt bien orienté, grâce à une météo favorable qui stimule vite la consommation, surtout sur les produits liés au jardin. Reste à voir si cela marque un rebond durable.
Comment expliquez-vous ce repli du marché ?
Il s’agit d’une conjonction de facteurs. D’abord, un effet post-Covid : entre 2020 et 2021, de nombreux projets ont été réalisés, créant mécaniquement un creux. Ensuite, l’inflation - même si les salaires progressent - continue de peser sur le pouvoir d’achat. Le climat géopolitique n’aide pas non plus. Et on assiste à une transformation plus structurelle des comportements d’achat : essor de la seconde main, développement de l’économie d’usage, retour en force de la réparation… Enfin, le blocage du marché immobilier pèse lourdement : moins de transactions, c’est moins de travaux.
Vous avez lancé début 2025 Mr.Bricolage Relais. Quelle est la vocation de cette nouvelle enseigne ?
Mr.Bricolage Relais s’inscrit dans une stratégie claire : renforcer la visibilité de la marque sur le territoire et offrir un modèle attractif, flexible et accessible à un plus grand nombre d’entrepreneurs. Elle complète nos formats existants - l’enseigne Mr.Bricolage et les magasins affiliés - avec un positionnement hybride, particulièrement adapté aux points de vente multi-activités ou situés en zone rurale.
Concrètement, Relais permet à ces magasins de bénéficier de notre marque, de notre logistique, de nos outils marketing et de nos conditions d’achat, tout en gardant leur spécificité locale. C’est un relais d’utilité sur le territoire, pas un format figé. Le succès est au rendez-vous : 37 magasins ont déjà adopté la marque en moins de deux mois. D’ici fin mars, nous serons entre 40 et 45. Et sur l’année 2025, nous pensons pouvoir doubler ce chiffre. Ce sont principalement des transferts - d’anciens Briconautes, des affiliés ou de nouvelles enseignes qui nous rejoignent. Ce modèle attire parce qu’il offre un cadre sécurisé tout en s’adaptant aux besoins locaux.
Est-ce un format spécifique en termes de surface, d’assortiment ou de politique prix ?
Pas du tout. Même si dans d’autres secteurs - comme l’alimentaire - on décline les enseignes selon la taille ou l’emplacement, ce n’est pas pertinent chez nous. Un magasin Relais peut faire 300 m² comme 3 000. L’important, c’est l’esprit de service et l’ancrage local. Ces points de vente proposent aussi d’autres activités en plus du bricolage, selon leur territoire.
Ils ont accès à l’offre complète du groupe : références, entrepôts, planogrammes, conditions d’achat. Pour le prix, nous fonctionnons avec des prix préconisés, identiques pour tous, mais chaque entrepreneur garde la liberté de les ajuster localement.
Quel est l’objectif à long terme ?
L’objectif est clair : faire en sorte que la marque Mr.Bricolage s’exprime sur l’ensemble du réseau, avec une intensité différente selon les points de vente. Aujourd’hui, environ un tiers du réseau porte la marque. Nous voulons qu’elle s’exprime sur l’ensemble du parc - via Mr.Bricolage, Relais ou les affiliés - avec des intensités différentes selon les contextes locaux. C’est un marqueur fort, d’autant plus symbolique que nous fêtons cette année les 45 ans de l’enseigne.
Vous avez une forte identité de proximité. Comment ce positionnement évolue-t-il face aux grands acteurs du marché ?
Je dirais que ce sont surtout les grands qui évoluent vers nous. Quand on coche les cases « proximité » et « indépendance », on part avec deux avantages significatifs par rapport aux groupes intégrés. C’est un modèle qui séduit de plus en plus les Français, et le nôtre, basé sur la franchise et l’implication locale, répond pleinement à cette attente.
On voit Leroy Merlin tester des formats de proximité, Castorama mener des expérimentations, Weldom déjà engagé dans la franchise, et Castorama qui pourrait suivre. Nous avons un modèle à succès, reconnu, qui montre sa pertinence. Cela ne nous dispense pas de nous remettre en question, mais sur ces deux axes - proximité et autonomie - nous avons une longueur d’avance.
Comment s’organise votre gamme de formats ?
Nous couvrons toutes les surfaces de 300 à 10 000 m². Notre approche est simple : le format City pour les centres-villes (300 et 600 m²), puis les tailles S, M, L, XL, XXL. Le cœur de notre savoir-faire se situe entre 300 et 2 500-3 000 m². Mais nous avons aussi de très grands magasins capables de réaliser des chiffres comparables à ceux des enseignes généralistes.
Où en êtes-vous du développement du réseau, en nombre de points de vente mais aussi en visibilité de la marque sur le territoire ?
Avec 1 071 magasins recensés fin 2024 - contre 979 un an plus tôt - le réseau Mr.Bricolage a connu une croissance nette de 92 points de vente sur l’année. Et la dynamique s’est poursuivie début 2025, avec déjà 20 ouvertures enregistrées en janvier, portant le total à 1 091 magasins au 31 janvier. L’enjeu n’est donc pas tant d’ouvrir à tout prix, mais de faire mieux exister la marque sur l’ensemble du réseau, en particulier grâce au déploiement de Mr.Bricolage Relais.
L’enjeu n’est pas tant d’ouvrir davantage que de faire mieux exister la marque sur l’ensemble du réseau.
Dans un marché où la création de grandes surfaces devient rare - en raison notamment des restrictions réglementaires -, la croissance passe majoritairement par des transferts ou des bascules internes. C’est particulièrement le cas pour Relais, qui s’appuie sur des anciens affiliés ou des ex-Briconautes pour étoffer le réseau sous enseigne propre.
Comment évolue l’expérience magasin ?
Le concept, lancé il y a 6-7 ans, est continuellement adapté. Plutôt qu’un modèle figé à réviser tous les dix ans, Mr.Bricolage privilégie une évolution permanente en lien avec les retours clients et magasins. Nous retravaillons l’organisation, l’architecture, les flux. Et surtout, nous développons des lieux de relation plutôt que de simple transaction : des espaces de discussion, d’échange, de service. Des « places de village » au cœur du magasin.
Renforcez-vous aussi la dimension servicielle ?
Oui, nous testons de nombreuses choses. Sur la seconde main, nous explorons plusieurs pistes, parfois avec des associations, parfois seuls. Le modèle économique est encore difficile à faire émerger, notamment à cause du sourcing. Sur la réparabilité, nous avançons bien : en 2024, nous avons lancé des nettoyeurs haute pression en marque propre avec les meilleurs indices de réparabilité du marché, devant les grandes marques. Ces critères sont désormais valorisés par les clients, et l’enjeu est de les généraliser à davantage de produits. Nous travaillons aussi à réduire notre impact carbone. 99 % de nos émissions viennent des produits vendus. Nous devons donc embarquer nos fournisseurs dans une trajectoire responsable commune.
Quel est aujourd’hui le poids de votre marque propre ?
Elle représente entre 16 et 17 % du chiffre d’affaires, avec l’ambition de doubler pour atteindre 30 à 35 %, un seuil jugé pertinent pour sa clientèle souvent attachée aux marques nationales.
Et le digital ?
C’est un sujet important (le groupe ne communique pas le chiffre exact du digital, NDLR). L’entrepôt de Voivres-les-Le-Mans (Sarthe), robotisé avec Exotec, va nous permettre d’optimiser la préparation des commandes. Les premiers robots sont déjà opérationnels, et nous visons une montée en puissance pour l’été 2025.
Notre modèle digital est particulier : chaque magasin a ses stocks et ses prix. Sous une même interface, le site Mr.Bricolage repose en réalité sur plus de 300 déclinaisons locales. Chaque magasin y présente ses propres stocks et prix, tandis que l’offre nationale ne vient qu’en complément. C’est complexe, mais fidèle à notre organisation. Les croissances sont là chaque année, y compris en 2024.
Comment garantissez-vous une expérience homogène avec un réseau 100 % franchisé ?
Nous parlons de franchise, mais nos adhérents sont aussi nos actionnaires : ils détiennent 62 % du capital. Une gouvernance singulière, au cœur de notre modèle. La relation client est centralisée. C’est nous qui portons la data et les outils digitaux, ce qui nous permet une relation personnalisée avec les clients. Nous avons aussi des commissions mixtes siège-adhérents qui définissent les politiques à mettre en œuvre dans les magasins.
Quels sont vos enjeux du moment ?
D’abord, finaliser nos investissements IT et logistiques. Ensuite, déployer pleinement Mr.Bricolage Relais et renforcer la visibilité de la marque sur les 1 000 points de vente. Et surtout, accompagner nos entrepreneurs dans la modernisation de leurs magasins et la gestion de cette période de contraction.
Et puis, comme toujours, préparer l’avenir. Nous travaillons actuellement sur notre plan stratégique 2026-2028. Il s’agit de transformer nos intuitions en analyses concrètes, puis en plans d’action.
Quelles ont été les étapes clés de ces 45 ans ?
Ce sont 45 années marquées par des phases de croissance, des remises en cause, des ajustements de gouvernance. Depuis 2016, deux étapes majeures : un retour aux fondamentaux économiques et métiers, puis quatre années d’investissements massifs dans l’IT et la logistique. Aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle phase : déployer tout le savoir-faire de la marque sur nos 1 000 points de vente.
Comment anticipez-vous les évolutions du marché ?
Le changement climatique aura un impact massif. Certains produits, comme les récupérateurs d’eau, explosent déjà. D’autres disparaissent dans certaines zones, où les restrictions se sont durcies. Il faut adapter nos gammes à ces nouvelles réalités, parfois régionales, parfois structurelles. Par ailleurs, on voit émerger une attente autour de l’« achat juste » : des produits utiles, simples, réparables. On sort d’une période de surenchère technologique parfois inutile. Il faut revenir à l’essentiel, à une forme de fonctionnalité brute, plus accessible pour le client. C’est aussi un levier de différenciation.