L’émergence d’un consommateur-trader [Analyse]
Par Clotilde Chenevoy | Le | Relation client
Suite aux différentes crises, certains consommateurs deviennent des boursicoteurs de la consommation, adeptes de l’achat-revente et demain des cryptos et NFT. Analyse de Matthieu Jolly, innovation & services manager au sein de l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance.
+2,8 % en France, +3,1 % en Allemagne et même +7 % aux Etats-Unis. Sur fond de pandémie mondiale, l’inflation est de retour. De fait, la crise sanitaire a fait disparaitre de l’actualité le débat autour du pouvoir d’achat des Français. La crise des gilets jaunes semble aujourd’hui un lointain souvenir alors que moins d’un Français sur 2 se déclare à l’aise avec ses revenus, selon l’étude Access Panel de l’Echangeur. Face à la flambée des prix des dépenses contraintes (énergie, alimentation, etc.), le pouvoir d’achat s’invite dans le débat public et va structurer l’évolution du commerce dans les prochains mois, années.
De fait, le low cost et le discount ont de beaux jours devant eux. De quoi dynamiser un peu plus des enseignes comme Action, Lidl, Normal ou encore Primark et Shein qui avaient déjà le vent en poupe dans l’Hexagone avant l’arrivée de la Covid-19.
Buy now pay later, un drive-to-store intéressant
Pour les autres, il est nécessaire de trouver des leviers pour accompagner le client, l’aider à réduire sa facture, à faire le bon choix. Outre les basiques bons de réductions ciblés lancés l’an dernier, une première réponse peut être apportée avec le Buy Now Pay Later plébiscité par un tiers des Français selon baromètre publié en juin par FLOA. Point de passage obligé dans le parcours digital, il peut aussi rassurer le consommateur en point de vente et permettre de maintenir, voire d’accroître le flux clients.
Le cas de Teatreneu à Barcelone reste d’ailleurs malgré les années exemplaire ! Lors de la crise économique provoquée par l’effondrement de la bulle immobilière, le théâtre barcelonais a vu sa fréquentation chuter en flèche. Logique, sous tension budgétaire, le spectateur a recentré sa consommation sur ses achats de première nécessité évitant de gaspiller son budget en sorties parfois déceptives. D’où l’idée de lancer Pay Per Laugh, ancêtre physique du BNPL. Le principe : si l’entrée est gratuite, le spectateur va payer 0,30 € à chacun de ses rires détectés par le système de reconnaissance faciale et ce, avec un maximum de 80 rires soit 24 €. Bilan : la fréquentation a augmenté de +35 % juste en garantissant au spectateur de payer en fonction de son plaisir.
Quand le consommateur se mue en investisseur
On le voit, pour préserver son niveau de vie, le consommateur se mue en investisseur. Chaque achat est soupesé en fonction de sa rentabilité future. Avec cette crise du pouvoir d’achat, c’est un nouveau type de client qui apparaît, le CONSOMMATEUR-TRADER. Comme pour un produit de placement, il recherche des garanties sur son investissement. Toujours en Espagne, 109 villages ruraux se sont ainsi associés pour lancer Vente a Vivir a un pueblo et promouvoir leur village. En effet, on assiste actuellement à un exode des citadins aisés qui quittent les centres-villes urbains à la recherche d’un meilleur cadre de vie. La plateforme espagnole les aide à choisir leur village idéal. Parmi les tous les critères de choix - écoles, commerces, prix de l’immobilier, équipements sportifs, … c’est la qualité de la connectivité à Internet qui est plébiscitée !
Au-delà de cette réassurance, ce nouveau consommateur, en bon boursicoteur, achète et revend des produits notamment sur les plateformes de seconde main. Vinted, Leboncoin, La Reboucle, Facebook Marketplace, Label Emmaüs, Everide, … l’offre est large et va encore se multiplier avec l’arrivées d’enseignes « historiques » au cours de l’année 2022.
NFT et Crypto, deux prochains sujets pour les marques
Mais, il peut aller encore plus loin pour gagner de l’argent. Comment ? Grâce aux cryptomonnaies et aux NFTs.
Dernière initiative en date, la plateforme Gap Threads de l’enseigne de mode américaine construite sur la blockchain Tezos. Vendus entre 8,60 et 430,60 dollars, il faut collectionner 6 NFTs pour participer le 24 janvier à la vente aux enchères permettant d’acheter un sweat à capuche signé Frank Ape x GAP. Le virtuel devient réel.
Si cette initiative semble encore gadget, le Play-to-Earn peut représenter une source de revenus importants pour des populations fragilisées. Popularisé avec le jeu vietnamien Axie Infinity dans lequel on élève et entraîne au combat d’adorables petits monstres, il permet par exemple à de nombreux Vénézuéliens, 2e pays en nombre de joueurs après les Philippines, de faire face à l’hyperinflation. Pour Juan Tirado, jeune homme de 32 ans au chômage, « le fait de pouvoir jouer à Axie m’a aidé à rembourser des années de dettes et à couvrir non seulement mes propres dépenses alimentaires, mais aussi celles de ma fille ».
Faire pivoter son programme de fidélité pour plus d’engagement
Pour les enseignes, ce consommateur-trader est une opportunité de renforcer la relation en faisant pivoter leurs programmes de fidélité. Au lieu de récompenser l’achat, pourquoi ne pas récompenser l’investissement ? C’est exactement la proposition de la startup Bumped, récompenser les achats en ligne et en magasin en actions ! Une fois l’entreprise sélectionnée par le client, les dépenses hebdomadaires progressent de 30 à 40 % auprès des marques dont ils sont actionnaires.
On le comprend, face aux inquiétudes du consommateur en matière de pouvoir d’achat, les enseignes doivent jouer leur rôle. Investir le Consommateur-Trader n’est pas qu’une nécessité court-termiste pour maintenir son chiffre d’affaires mais bien une opportunité long terme de construire une relation forte et pérenne.
A propos de l’auteur :
Diplômé de l’ESC Toulouse, Matthieu Jolly est Innovation & Services Manager au sein de l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance. Il travaille depuis 25 ans maintenant autour du consommateur et de ses motivations d’achat. Après avoir trituré les données des bases de fidélité d’enseignes alimentaires et non alimentaires, il rejoint, en janvier 2014, l’Echangeur convaincu qu’il est de l’importance de l’actuelle révolution du commerce autour des Services.