Stratégie retail

Transformation de Picard : les bonnes recettes de Cathy Collart-Geiger

Par Clotilde Chenevoy | Le | Enseignes

La relance de Picard est devenue un cas d’école. Cathy Collart-Geiger, qui a piloté la transformation de l’enseigne depuis 2020, dresse son bilan et partage les grands leviers pour initier un retournement d’entreprise.

Transformation de Picard : les bonnes recettes de Cathy Collart-Geiger
Transformation de Picard : les bonnes recettes de Cathy Collart-Geiger

Vous venez de quitter la direction de Picard. Quel bilan faites-vous de ces trois dernières années ?

Ce fut trois belles années très riches et passionnantes. J’arrive en 2020, pendant la crise sanitaire avec une feuille de route relativement claire : relancer l’entreprise après une longue période sans croissance forte. J’ai initié un plan de transformation, Proxima, qui avait notamment comme levier de remettre le client au centre de la stratégie. Cela s’est traduit concrètement par l’exploitation de la data, non travaillée auparavant, et la création du premier programme de fidélité de l’enseigne qui a attiré 2,5 millions de clients en trois ans.

La part de l’e-commerce est passée de 1,8 % à 5 % en trois ans et un client omnicanal dépense deux fois plus qu’un client monocanal.

La transformation digitale est un gros pilier du plan. En 2020, nous ne proposions pas de livraison à domicile dans toute la France, ni de click & collect et n’avions pas d’application. Nous avons, depuis 2020, développé différents services et la part de l’e-commerce est passée de 1,8 % à 5 % en trois ans. Le tout en générant du chiffre incrémental car un client omnicanal dépense deux fois plus qu’un client monocanal.

Vous avez également ouvert beaucoup de nouveaux points de vente…

En effet, le troisième levier fut la conquête des territoires. J’ai mené des écoutes de clients et de non-clients. Il en est ressorti que nos magasins ne devaient pas être à plus 15 à 20 minutes sinon les consommateurs ont peur pour leurs surgelés. Nous avons ouvert une centaine de magasins en trois ans, notamment en franchise, en misant sur des gens bien implantés localement. De 12 franchisés il y en a maintenant plus d’une cinquantaine. L’expansion s’est aussi faite à l’international, sous un autre format. Nous avons fermé les magasins en propre qui n’étaient pas un succès. J’ai opté pour un format plus agile, avec des corners, des shop-in-shop à l’intérieur de retailers qui avaient déjà pignon sur rue et qui connaissaient leurs clients comme Mark & Spencer aux Émirats et à Hong-Kong, Kurly en Corée ou encore Ocado au Royaume-Uni, Red Smart à Singapour pour le volet digital. 18 pays ont été ouverts en trois ans et 5 autres vont être très prochainement annoncés.

18 pays ont été ouverts en trois ans et 5 autres vont être très prochainement annoncés.

Enfin, le dernier pilier du plan Proxima consistait à rendre notre marque incontournable et différenciante.  Nous avons défini une vraie raison d’être avec une nouvelle plate-forme de communication que cela soit vis-à-vis de nos clients que de nos collaborateurs. Nous avons signé des accords pour améliorer la qualité de vie au travail par exemple. Dans un marché de l’emploi tendu, nous recevons  200 000 candidatures spontanées par an. Tous les piliers de la RSE ont été travaillés avec la réduction des emballages avec 1 000 tonnes de plastiques en moins, ou encore la baisse de notre empreinte carbone dans le transport.

Toutes ces actions ont permis à Picard d’enregistrer une croissance de 20 % par rapport à l’avant-Covid avec une rentabilité bien supérieure à cela. In fine, je peux dire que la mission est accomplie.

Au-delà du plan Proxima, quels sont pour vous les leviers clés de la transformation ?

Ecouter. Les collaborateurs, les clients et les non-clients et même les partenaires. J’ai relu les enquêtes clients depuis 2009. Picard est une marque qui a 50 ans d’histoire dont il fallait tenir compte. Le management de proximité est clé quand on entame un plan de transformation. J’ai présenté Proxima à toute l’entreprise pour qu’ils comprennent bien que les actions entreprises ne sont pas une lubie du nouveau dirigeant.

La méthode de travail est importante aussi. Nous avons mis en place du test & learn avec le droit à l’erreur. Et la possibilité de déployer rapidement si on découvre des choses intéressantes. Par ailleurs, il est impératif de mener plusieurs chantiers de front. Il n’est pas possible si on veut vraiment transformer une entreprise rapidement de les ouvrir un par un. Je n’ai aucun regret chez Picard de l’avoir fait. C’est ce qui fait que l’entreprise a bougé aussi vite, aussi fort et de manière aussi visible pour nos clients.

Quelle est votre plus grande fierté dans cette transformation ?

Globalement, c’est d’avoir su transformer une marque qui a près de 50 ans et était déjà très appréciée des clients. Beaucoup de personnes m’ont mise en garde à ma prise de poste en précisant qu’il ne fallait pas tout toucher pour ne pas casser le modèle et simplement profiter de l’embellie que le Covid a offert à l’alimentaire. Picard était déjà dans le top des marques préférées des Français. Elle est désormais première ! Mais c’est quand tout va bien qu’il faut pour moi pousser les curseurs parce que les équipes sont dans une vraie dynamique. Et surtout, on a les moyens de le faire. Il faut chercher les bons leviers.

Et la plus grosse difficulté ?

J’en identifie deux. La première, c’est de transformer et construire l’avenir quand il y a un quotidien qui est dément. Chez Picard, j’ai enchaîné les crises : Covid, énergétique, inflation. Il faut être très agile pour rester réactif dans le quotidien et avancer sur les projets de demain. Cela peut être très éprouvant pour les équipes qui ont le sentiment que cela n’arrête jamais. Mais il est important pour un dirigeant d’avoir cette double lecture entre la vision à long terme et suivre les signaux faibles tout en étant capable de rester très opérationnel et pragmatique.

La deuxième difficulté c’est la résistance aux changements. J’ai eu des collaborateurs qui se sont engagés immédiatement, me remerciant d’avoir mis Picard au 21e siècle. Mais certains ne voulaient pas changer leurs méthodes alors que la croissance était un encéphalogramme plat. Encore une fois, l’écoute et le management de proximité ont été clé pour y remédier. Les équipes ont été responsabilisées avec des objectifs clairs sur ce qu’on attend. Refaire un concept, par exemple, s’est fait en sollicitant plusieurs services, des techniciens, aux équipes de la marque, des produits, du réseau et même les partenaires sociaux pour prendre en compte la qualité de travail. Nous avons engagé finalement sur tous les chantiers de transformation un maximum de personnes pour qu’elles puissent là aussi en retirer une vraie fierté et contribuer à quelque chose. Et bien sûr, très vite il faut partager les premiers résultats pour prouver les actions bénéfiques du plan.

Sur les derniers mois, vous avez également incarné votre enseigne, et même votre statut de femme et de mère dirigeante, sur la scène médiatique. Cela participe aussi à la transformation ? C’est le rôle selon vous des nouveaux dirigeants ?

J’estime que c’est extrêmement important pour l’entreprise parce que le dirigeant est le premier ambassadeur de l’entreprise. On est désormais dans une ère de communication et beaucoup de choses ont changé chez Picard. Il était nécessaire d’incarner ces changements avec authenticité et sincérité. On a parlé de donner du sens aux équipes, mais il fallait aussi en donner aux clients. Si je ne l’avais pas fait, d’autres experts l’auraient fait à ma place, et peut-être en moins bien. Et j’avais à cœur de porter mes responsabilités. Mais s’exposer c’est aussi prendre des coups, avec des personnes qui commentent tout ce que vous faites.

On est désormais dans une ère de communication. Beaucoup de choses ont changé chez Picard. Il était nécessaire d’incarner ces changements.

A titre privé, je me suis aperçue qu’au fil de mes interventions, on venait aussi chercher la femme que j’étais car j’étais la seule présidente-directrice général de l’industrie alimentaire, en ayant démarré comme chef de rayon. Il y avait aussi un rôle modèle à porter en tant que dirigeante, mariée avec des enfants, notamment quand j’intervenais dans les écoles. Certes, il y a eu des renoncements mais quand c’est assumé et expliqué en famille et que chacun joue son rôle, tout est conciliable. J’ai eu aussi beaucoup de plaisir à le faire parce que j’aurais aimé avoir ce type de rôle là plus jeune. Et j’ai le sentiment que la féminisation des comex n’avance pas aussi vite que ça. Une femme dirigeante doit toujours mener beaucoup de batailles et de combats. Mais je suis une fille de militaire et une guerrière, cela tombe bien !

Si on bascule sur votre vision de la consommation au global. Comment voyez-vous évoluer le marché ?

Le plus gros enjeu de la distribution en ce moment c’est la conjugaison entre la fin de mois difficile et la fin du monde. Comment accompagner les consommateurs en ces temps de tension sur le pouvoir d’achat. Il ne faut pas s’inscrire dans une facilité de destruction de valeurs perpétuelle avec de la promotion qui ne veut plus rien dire, ou des premiers prix dont on oublie les attributs du produit. Ce n’est pas parce qu’il est vendu à un tarif bas qu’il ne vaut rien. La crise sanitaire a mis en exergue que les consommateurs aspirent à mieux manger. Et ce, dans toutes les couches sociales. Kantar en 2022 soulignait que 95 % des gens ont conscience qu’il faut changer vers une alimentation plus saine, un développement plus durable… Et effectivement, 10 % d’entre eux l’ont mis en action. La marge de progression est réelle.

Et il n’y a pas que dans l’alimentaire. En non-alimentaire, on a vu émerger des offres de seconde vie des produits et de location sur certains produits que l’on utilise peu comme dans le bricolage. Des initiatives très intéressantes fleurissent en France et dans les autres pays. Tule a par exemple installé aux Etats-Unis dans les halls d’immeuble des casiers pour des produits en location à l’heure.

Et sur le volet fin du monde…

Face à cette équation du pouvoir d’achat, les distributeurs doivent s’engager dans une transformation durable et responsable. On voit la rareté des matières et les coûts qui explosent. La question se pose de réinvestir dans les filières par exemple pour favoriser la circularité des matières. Et comment on ose ne plus proposer de produits parce que ce n’est plus la saison ou que cela vient de l’autre bout de la planète. Les clients ont réduit leur volume d’achats avec des arbitrages, cela s’est ressenti chez toutes les enseignes. Ils vont s’orienter vers des articles qui leur apportent de la satisfaction tout en restant dans leur contrainte budgétaire.

A plus long terme, la distribution doit arriver à répondre à des moments de vie et à proposer l’offre en conséquence. Prenons un cas concret : la femme enceinte. Il y a des produits qui mentionnent qu’ils lui sont interdits mais rien ne va les guider dans ce qui est bon pour elle. La notion de Care au global va prendre de plus en plus de place dans la consommation et il va falloir prendre en compte la multiplicité des besoins des consommateurs, qui se retrouve au sein d’un même foyer désormais.