Thom Group : « Nos leviers de croissance ? La marque, la qualité de service et la relation humaine »
Par Clotilde Chenevoy | Le | Enseignes
Romain Peninque, p-dg de Thom Group (Histoire d’Or, Stroili,…) revient sur le rachat de Popsell, spécialisée dans le social commerce, les ambitions digitales et le rôle du conseiller de vente.
Quel bilan faites-vous de l’année passée ?
La période à partir de mars 2020 a été très dure. Tout le monde a été pris de cours mais nous avons eu la chance d’avoir un rebond spectaculaire. Les deuxième et troisième confinements ont eu moins de conséquences, d’autant que nous avons pu rouvrir en décembre. Cette période représente 25 % de nos ventes pour 50 % de nos résultats. Malgré tout, nous avons perdu 100 millions d’euros de cash. Une somme que d’habitude nous investissons dans l’entreprise. La perte de notre capacité d’investissement n’est pas sans conséquence face à des acteurs digitaux qui ont n’ont pas été impactés comme nous. Il est néanmoins juste de reconnaître que nous avons été bien protégés en France par les mesures gouvernementales.
Votre activité e-commerce a-t-elle pris le relais pendant la période ? Est-ce au dépend des ventes en magasin ?
Nous réalisons actuellement 10 % de notre chiffre d’affaires en ligne. Notre objectif consiste à atteindre 30 % d’ici 5 ans. Nous ne voyons aucune cannibalisation entre les magasins et les ventes en ligne. Notre croissance à périmètre constant des magasins a toujours été positive, alors que l’e-commerce progresse chaque année. Pendant le covid, nous avons même atteint plus de 200 % de croissance.
Nous réalisons actuellement 10 % de notre chiffre d’affaires en ligne, nous ciblons 30 % d’ici 5 ans.
En temps normal, un client bi-canal - magasin et e-commerce - consomme 12 % de plus qu’un client monocanal. De plus, les conseillers de ventes sont bien conscients de l’apport du site web, d’autant que le chiffre d’affaires généré en ligne participe intégralement à l’obtention de leurs objectifs.
Quels sont vos leviers de croissance pour atteindre votre objectif de 30 % d’e-commerce ?
Notre priorité n’est pas l’e-commerce ni le digital, c’est la marque. Une marque forte et dominante est la garantie du succès ; bien entendu elle doit être doublée d’une expérience digitale irréprochable. Nous voulons que les consommateurs tapent Histoire d’Or et non bijou dans les moteurs de recherche.
Autre levier de croissance, c’est la qualité de service. Amazon a donné le ton. Il y a 5 ans, les livraisons se faisaient en une semaine, désormais en 48 heures cela nous semble trop long ! Histoire d’Or a investi très tôt dans la logistique et cela fait plus de 20 ainsi que nous suivons nos stocks à l’article et non à la référence. Aujourd’hui, nous avons déployé tous les scénarios de livraison misant aussi sur le magasin pour du ship-from-store ou de la livraison express.
Histoire d’Or a investi très tôt dans la logistique et cela fait plus de 20 ainsi que nous suivons nos stocks à l’article et non à la référence.
Enfin, troisième axe, nous avons également beaucoup de travail autour du contenu des pages produits. Elles doivent être enrichies avec des photos en haute définition, de la vidéo ou encore de la 3D. En ajoutant cette dernière technologie sur les alliances, nous avons fait grimper notre taux de conversion. Mais c’est un investissement très lourd : 2500 euros par bijou il y a deux ans. Sachant que nous avons 15 000 références et que nous changeons nos collections régulièrement, c’est un budget à plus de 30 millions d’euros ! Nous capitalisons surtout sur notre studio photo pour que chaque fiche produit dispose de vidéos en plus de 3 à 5 photos.
Comment comptez-vous renforcer la marque Histoire d’Or ?
Cela passera par de l’investissement média. Nous avons mené quelques tests et nous allons renforcer nos budgets dans le digital comme dans les médias classiques. Notre cœur de cible ce sont les mères de famille de 30 à 35 ans, de CSP égale ou plus, qui fréquentent autant le centre commercial que le centre-ville et cherchent un bijou précieux avec une expérience irréprochable. Mais nous touchons aussi plus globalement les femmes de 18 à 50 ans. Nous sommes par exemple le premier perceur d’oreilles de France avec plus de 300 000 clients par an. Les Françaises nous font confiance pour leur premier bijou et nous les accompagnons dans leur vie.
Quelles places tiennent les réseaux sociaux dans votre stratégie ? Pourquoi avoir investi dans Popsell ?
Nous n’y sommes pas encore assez présents. Cela ne fait pas partie de notre culture initiale, nous sommes des commerçants. Mais nous investissons beaucoup. C’est dans cette optique que nous avons recruté Flavien d’Audiffret comme directeur général Europe (Ndlr : auparavant directeur stratégie, digital et développement chez SMCP) ou encore que nous avons investi dans Popsell, une plateforme qui permet de faire du commerce social via les conseiller de ventes.
Thom Group a pris 65 % du capital de Popsell. Nous investissons pour nous créer un outil sur-mesure.
La relation humaine est l’une des autres briques clés dans le développement des ventes digitales. Le Multi Level Marketing (MLM) nous avait déjà mis la puce à l’oreille du fait de son évolution digitale notamment aux US. Si l’activité est dure à rentabiliser, nous sommes convaincus que certaines pratiques seront bénéfiques à nos marques, d’où cette idée de social selling.
Nous cherchions une solution Saas plus simple à gérer. Nous avons lancé un appel d’offres et au fil des discussions avec Popsell, nous avons été convaincus de leur solution. Et aussi qu’elle pouvait devenir un avantage compétitif que nous devrions contrôler. Thom Group a pris 65 % du capital mais les fondateurs et le directeur technique continuent de développer la start-up.
Qu’attendez-vous de ce rachat ?
Popsell est une plateforme qui permettra à nos conseiller de ventes d’élargir leur interaction avec leurs clients, notamment via le digital. En terme de développement, la plate-forme a déjà 70 % des fonctionnalités que nous avions imaginées, il faut encore développer les 30 % restantes. Nous testerons la solution avec le terrain pour affiner ces derniers réglages. A la fin du premier semestre 2022, nous pensons déployer cette solution chez Histoire d’Or et en tirer les premiers enseignements.
Notre idée n’est pas de créer une cohorte de nouveaux conseillers de ventes-influenceurs mais de proposer aux équipes d’élargir leur capacité de vente et de valoriser leurs compétences.
Combien allez-vous investir dans Popsell ?
Notre investissement se situe entre 5 à 10 millions d’euros pour obtenir une version finale de Popsell. Cela inclut entre autres toute la partie technique avec les développeurs ou les chefs de projets, ainsi que des formateurs. Nous aurons également un changement d’organisation à prévoir. Il s’agit d’un financement significatif pour nous, mais il est clairement prioritaire. Face au covid, tout développement de modules digitaux est un bon investissement. Nous avons dû mettre 95 % de nos équipes au chômage partiel. Avec Popsell, nous aurions pu les garder actifs. Même scénario si un magasin est en travaux par exemple.
Un conseiller de vente qui ne vend plus dans un magasin, cela ne pose pas de contrainte au niveau des ressources humaines et des contrats de travail ?
Le métier de conseiller de vente est en train de se transformer. Dans le luxe, ils font déjà de l’avant-vente ou ils téléphonent à leurs clients. La révolution est déjà en cours. La question porte sur les outils à fournir et d’avoir une fiche de poste cohérente avec un métier qui évolue. Le conseiller de vente de demain sera-t-il toujours rattaché à un magasin ? Notre idée n’est pas de créer une cohorte de nouveaux conseillers de ventes-influenceurs mais de proposer aux équipes d’élargir leur capacité de vente et de valoriser leurs compétences.
Comment réagissent les équipes à ces changements ?
Le premier écho est qu’ils sont enthousiastes car cela leur permet de garder le lien avec les clients, même après une vente. Par exemple, quand vous achetez un solitaire, il faut le faire réviser un an après. Le conseiller pourra conserver une relation avec son client au-delà de la vente. On vient humaniser le digital.
De plus, nous avons de véritables experts dans notre réseau. Via Popsell, ils vont pouvoir partager leurs connaissances, répondre aux questions des consommateurs ou encore partager leur coup de cœur. Si nous avons 3000 utilisateurs qui parlent de la marque de façon qualifiée, cela aura un vrai impact positif pour nos clients.
Cette approche suppose aussi de bien former les équipes. Comment gérez-vous ce point chez Thom Group ?
Depuis 2011, nous avons créé la Thom Académie, à Noisy-le-Grand, avec 1500 m2 dédiés à la formation. Il y a des programmes à la carte, par exemple sur la connaissance des diamants ou sur le merchandising, mais aussi des programmes pour les managers. Dans celui-ci, nous accueillons entre 40 à 50 collaborateurs par an pour suivre 20 jours de formation sur deux ans. A l’issue de ce parcours, ils peuvent prétendre à un poste de directeur de magasin. Au-delà du retour sur investissement, il s’agit de proposer des perspectives de carrière à nos salariés. Notre directrice du développement humain a bon espoir de pouvoir faire certifier notre programme pour qu’il soit reconnu comme un diplôme équivalent à un Bac+2.
Quelle place tient le magasin dans cette nouvelle approche ?
Le magasin reste central dans notre stratégie, nous n’avons pas vocation à diminuer notre maillage. Le point de vente reste au cœur de la relation client, et il demeure très complémentaire au e-commerce qui progresse fortement mais est encore loin d’être majoritaire dans la distribution spécialisée. Nos conseillers pourront utiliser désormais un nouveau canal et utiliser le magasin comme un showroom. Ils sont la pierre angulaire de toute marque et de tous les retailers et devraient être mis en valeur chaque jour. Ils sont pourtant souvent oubliés.