Domino’s Pizza : qualité produits, digitalisation et reconquête au programme en 2025
Par Dalila Bouaziz | Le | Enseignes
Joël Tissier, PDG de Domino’s Pizza France, dévoile sa vision pour 2025. Qualité des produits, transformation digitale et stratégie de reconquête des familles sont au cœur de son plan pour consolider la position de leader de l’enseigne.
Vous fêtez vos 35 ans en France. Quelles ont été les étapes clés de votre développement ?
Domino’s est arrivé en France en 1989, sous la gestion de la maison-mère américaine. Jusqu’en 2006, le développement a été lent avec seulement 40 à 50 magasins ouverts, en raison d’une approche peu adaptée au marché français. Cependant, dès ses débuts, Domino’s s’est imposé comme pionnier de la livraison, introduisant des lignes téléphoniques pour faciliter les commandes et lançant en 2005 les « Jours Fous », rendez-vous hebdomadaire toujours en place.
En 2006, la gestion est passée à Domino’s Pizza Enterprises, société australienne, marquant un tournant. Grâce à leur dynamisme et leurs outils modernes, Domino’s est devenu leader du marché, devançant Pizza Hut ou Speed Rabbit. En 2009, l’introduction de la commande en ligne a été une révolution, suivie en 2012 par l’application mobile. En 2014, l’adoption des scooters et vélos électriques a allié écologie et emploi, notamment pour les livreuses.
Sur le plan environnemental, nous avons progressivement introduit des mesures RSE, comme l’utilisation de boîtes en papier recyclé. Enfin, en 1998, les sacs chauffants, une innovation majeure, ont transformé la livraison de pizzas. Il y a 18 mois, les distributeurs automatiques ont enrichi l’offre.
Quels sont les chiffres clés en 2024 ?
Cette année a été complexe, avec des périodes de décroissance dans un contexte économique difficile. Cependant, Domino’s est resté sur une trajectoire stable, renforçant l’idée que le développement d’une marque est un marathon, alternant phases d’accélération et consolidation. Aujourd’hui, nous comptons 464 magasins en France, avec 7 500 employés dans un réseau à 95 % franchisé. Notre priorité est de consolider notre parc existant pour garantir une expérience client de qualité.
Domino’s reste leader sur le segment de la pizza en France, tant en nombre de magasins qu’en chiffre d’affaires.
Malgré les défis, nous prévoyons un chiffre d’affaires stable à 300 millions d’euros, grâce à un équilibre solide entre la livraison et la vente à emporter, qui restent au cœur de notre ADN. La consommation sur place demeure marginale, représentant 10 % des ventes dans 10 % des magasins. Domino’s conserve sa position de leader sur le segment de la pizza en France, grâce à un modèle centré sur la consommation hors domicile, qui reste notre priorité stratégique.
Vous avez récemment changé de stratégie pour la livraison, en collaborant avec des plateformes. Pourquoi cette évolution ?
Pendant longtemps, nous avons assuré nos livraisons en interne, même via Uber Eats ou Deliveroo, qui servaient uniquement d’outils de commande. Depuis décembre 2023, nous testons un modèle hybride : nos équipes gèrent les livraisons sur les créneaux principaux, tandis que les livreurs des plateformes interviennent sur des horaires étendus, comme tard le soir ou tôt le matin, où mobiliser nos équipes serait compliqué.
Ce basculement progressif, d’abord testé sur quelques magasins, a été déployé plus largement depuis avril 2024. Cela améliore notre visibilité sur les plateformes, notamment sur des créneaux où nous étions moins présents, comme l’après-midi. Ces plages horaires, souvent sous-exploitées sur notre propre application, offrent un fort potentiel grâce aux flux élevés sur les agrégateurs. Depuis cette évolution, nous avons doublé notre part de marché sur les plateformes, tout en continuant à nous appuyer sur nos forces historiques. Cette stratégie hybride reflète notre volonté de mieux exploiter les dynamiques des agrégateurs tout en optimisant la performance globale de notre réseau.
Vous avez lancé des pizzas plus haut de gamme avec les « Signatures » avec pour ambition de séduire une clientèle plus âgée, notamment les 35-54 ans. Avez-vous constaté un changement dans votre clientèle ?
Cette initiative partait d’un constat : nous ne mettions pas suffisamment en avant la qualité de nos produits et de nos ingrédients, ce qui nous a probablement coûté cette cible plus mature. Les « Signatures » étaient une belle réponse, avec des produits très qualitatifs, mais leur potentiel n’a pas été pleinement exploité. Plusieurs facteurs ont joué, notamment le contexte économique, marqué par des crises successives comme l’inflation, qui ont freiné notre capacité à communiquer efficacement sur ces produits auprès de cette cible spécifique.
Nous avons également manqué l’opportunité de valoriser des atouts importants, comme notre utilisation de farines issues des Grands Moulins de Paris, nos fromages AOP, ou encore nos légumes provenant de coopératives locales et régionales. Ces arguments, qui résonnent particulièrement avec les attentes des 35-54 ans, n’ont pas été suffisamment portés à la connaissance du public. Cela a créé un décalage entre la qualité réelle de nos produits et la perception de cette cible, qui n’a pas vu dans Domino’s un acteur répondant à ses attentes en termes de qualité et de provenance.
Aujourd’hui, nous amorçons un virage stratégique pour reconquérir cette clientèle. En 2025, nous prévoyons de renforcer notre communication sur la qualité de nos produits, nos engagements RSE, et la traçabilité de nos ingrédients. Nous souhaitons réassurer cette tranche d’âge, qui recherche des valeurs d’authenticité et de transparence. Ce repositionnement s’accompagne d’une volonté de continuer à cultiver notre lien fort avec notre cœur de clientèle historique, les 18-35 ans, en développant des produits innovants et en poursuivant des collaborations culturelles et artistiques qui leur parlent. En somme, notre objectif est de trouver un équilibre entre ces deux segments : continuer à surprendre les jeunes générations tout en montrant aux consommateurs plus âgés que Domino’s est aussi une marque capable de répondre à leurs exigences de qualité et de responsabilité.
Comment définissez-vous l’identité de marque de Domino’s Pizza en France ?
Nous avons retravaillé notre identité de marque avec une nouvelle signature communiquée en septembre, « Toujours plus », qui reflète une ambition simple mais forte : toujours plus de partage, de gourmandise, de fun et de plaisir. Domino’s a toujours eu une communication un peu décalée, et nous voulons retrouver cet ADN, tout en le modernisant. Notre positionnement n’a jamais été de dire que nous sommes une marque pour tous les jours de la semaine. Nous savons très bien que nos produits ne sont pas diététiques, et nous l’assumons totalement.
Nous revendiquons le plaisir, même quand ce n’est pas le plus vertueux, mais ce plaisir doit être ponctuel, choisi, et vécu sans culpabilité. L’idée, c’est de dire : « Venez chez nous quand vous en avez envie, peu importe le moment, c’est forcément le bon. »
En quoi se différencie-t-elle des autres marchés ?
En France, nous avons choisi de mettre le produit au cœur de notre communication. Contrairement à d’autres marchés comme les Pays-Bas, l’Allemagne ou l’Australie, où le prisme prix est souvent dominant avec une valorisation forte du rapport qualité-prix, nous avons pris le parti de parler d’abord de plaisir et de qualité. Dans ces pays, les consommateurs se nourrissent avant tout pour répondre à un besoin. En France, on mange pour le plaisir, et c’est ce qui nous différencie.
Nous revenons à ce qui fait notre force : offrir une expérience culinaire authentique et émotionnelle, en phase avec la culture gastronomique française
Nous voulons capitaliser sur cette différence en valorisant nos produits, leur goût, et leur capacité à offrir une vraie expérience gourmande. C’est un vrai virage stratégique, car pendant quelques années, nous avions peut-être mis de côté nos fondamentaux, notamment la qualité du produit, pour nous concentrer davantage sur d’autres aspects.
Combien de nouveautés lancez-vous chaque année ?
Nous lançons en moyenne quatre grandes nouveautés par an, structurées autour de nos principales campagnes annuelles. Ces campagnes sont des moments forts qui mettent en avant de nouveaux produits ou des recettes revisitées pour dynamiser notre offre et répondre aux attentes des consommateurs. En parallèle, nous proposons également des initiatives plus ponctuelles. Par exemple, nous avons lancé une pizza hot-dog lors des Jeux Olympiques, un produit adapté au snacking, ou encore une pizza en collaboration avec le youtubeur Inoxtag.
Ces quatre grandes fenêtres de lancement sont complétées par des campagnes intermédiaires qui permettent d’apporter encore plus de dynamisme et d’innovation à notre offre tout au long de l’année.
Votre enseigne s’est récemment illustrée avec des initiatives marketing originales, comme une collection de vêtements et un ton décalé sur les réseaux sociaux. Quelle est votre stratégie derrière ces actions ?
Ces initiatives visent à renforcer la considération de la marque et à stimuler les intentions d’achat, deux indicateurs que nous savons positivement impactés par ce type d’actions. Elles réaffirment également l’identité de Domino’s, historiquement décalée et disruptive, avec des campagnes emblématiques comme celles des « Jours fous », où licornes et astronautes côtoyaient nos pizzas. Pendant un temps, nous nous étions éloignés de cette ADN en privilégiant les promotions. Aujourd’hui, nous revenons à des contenus engageants et surprenants qui créent une vraie connexion avec notre audience.
Récemment, nous avons ajouté une dimension interactive à nos campagnes, en nous inspirant des « easter eggs » (éléments cachés, souvent ludiques ou surprenants, intégrés intentionnellement dans un produit pour amuser ou intriguer les utilisateurs qui les découvrent). Par exemple, dans notre dernière publicité télé, un message en morse cachait une récompense : un an de « Jours fous » gratuits pour la première personne à le déchiffrer. Ce type d’initiative amuse nos clients, renforce leur attachement à la marque et nous distingue des approches purement promotionnelles.
Nous développons également des collaborations stratégiques. Le partenariat avec Inoxtag, autour d’une pizza dédiée, a remporté un vif succès auprès des jeunes. Plus récemment, nous avons lancé une collection textile avec Brawks, comprenant bonnets et vêtements, qui est rapidement devenue emblématique. Ces collaborations nous permettent d’atteindre de nouvelles audiences, en touchant les communautés d’artistes ou d’influenceurs partageant nos valeurs. Enfin, nous assumons de ne pas être une marque consensuelle. Notre approche peut ne pas plaire à tout le monde, et c’est une position que nous revendiquons. Pour ceux qui nous aiment, nous cherchons à cultiver un lien fort, en transformant nos clients en véritables fans grâce à des campagnes engageantes et audacieuses. Ces initiatives, loin d’être anecdotiques, s’inscrivent dans une stratégie globale de construction d’une marque forte et distinctive.
L’an prochain, nous continuerons sur cette voie, avec d’autres collaborations artistiques et des projets inattendus, car nous croyons fermement que cette créativité et cette audace renforcent durablement notre positionnement sur le marché.
Quels sont vos projets du moment ?
Cette année, nous avons concentré nos efforts sur la digitalisation et l’optimisation de l’expérience client, avec une attention particulière sur la fluidité et la simplicité des commandes en ligne, qui représentent environ 60 % de notre activité. Nous travaillons aussi sur le déploiement de bornes de commande en magasin, un axe que nous avions peu développé jusqu’à présent. Ces nouvelles bornes, au design propriétaire, offrent une expérience moderne et intuitive, cohérente avec celle de notre application et de notre site web.
Bien que la prise de commande en magasin soit minoritaire (10 à 15 %), il était important pour nous de moderniser cet aspect afin de répondre aux attentes des clients qui se rendent sur place. Ce projet comble un retard sur certains concurrents de la restauration rapide tout en affirmant notre volonté de proposer une expérience homogène quel que soit le canal de commande. Enfin, nous préparons pour 2025 des projets plus structurants, encore en phase d’élaboration, notamment autour de nos outils de fidélisation et de nouvelles fonctionnalités digitales.
Et vos enjeux prioritaires ?
L’un de nos principaux défis est la refonte de notre communication. Dans un contexte économique difficile, il est crucial de renouveler notre discours et d’élargir notre audience. Nous visons notamment une reconquête de la cible familiale, en mettant l’accent sur des arguments de qualité et de transparence pour convaincre les parents. Cette transformation de notre plateforme de marque prendra du temps, mais elle est essentielle pour faire évoluer la perception du public.
Un autre enjeu clé concerne la formation et l’évolution des collaborateurs au sein de notre réseau. De nombreux franchisés ont commencé comme livreurs ou managers avant d’ouvrir leur propre magasin, grâce à notre programme Emerging Leader. Ce dispositif incarne notre culture : permettre à chacun de progresser et de réussir. Certains franchisés parmi les plus performants aujourd’hui ont débuté chez nous il y a 15 ans, et cet esprit d’accompagnement reste au cœur de notre ADN.
Vous avez mentionné le programme « Emerging Leaders ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
80 % de nos franchisés sont issus de nos magasins. Contrairement à d’autres enseignes, notre modèle repose sur l’évolution interne. Beaucoup de nos franchisés ont débuté comme livreurs ou managers, accumulé de l’expérience et développé l’ambition d’ouvrir leur propre magasin.
En 2019, nous avons formalisé cette approche avec le programme Emerging Leader, conçu avec la Chambre de commerce. Ce programme offre des formations en finance, juridique, RH et management, accompagnées par des experts extérieurs, pour préparer nos collaborateurs à devenir franchisés. Il va au-delà des critères financiers : il montre que l’entrepreneuriat est accessible, même sans parcours académique classique ou moyens financiers importants.
Un aspect clé de ce modèle est l’entraide. Les franchisés expérimentés soutiennent souvent leurs managers en les aidant financièrement, par exemple via des prêts d’honneur ou une contribution au capital de départ (environ 80 000 €), pour ouvrir ou reprendre un magasin. Cela renforce l’attachement à la marque et aux valeurs de Domino’s. Nos franchisés, ayant travaillé sur le terrain, comprennent que le succès repose sur un service et une expérience client irréprochables. S’ils savent attirer les clients grâce au marketing national, ils savent aussi que les fidéliser dépend de l’accueil et du service local. Cette conscience opérationnelle, issue de leur parcours, est un atout majeur. Ce modèle est une véritable source de fierté : il permet à des collaborateurs sans diplômes élevés ou parcours classiques de devenir des entrepreneurs à succès.