Stratégie retail

Petit Bateau : « La seconde main représente déjà 10 % des ventes de nos magasins »

Par Dalila Bouaziz | Le | Enseignes

Depuis sa prise de poste en 2020 à la tête de Petit Bateau, Guillaume Darrousez renforce l’éco-responsabilité de la marque enfantine, avec la volonté d’embarquer l’ensemble des acteurs de son industrie. Une stratégie qui porte déjà ses fruits au sein de l’enseigne.

Guillaume Darrousez est le PDG de Petit Bateau depuis 2020. - © MILK MAGAZINE JAPON
Guillaume Darrousez est le PDG de Petit Bateau depuis 2020. - © MILK MAGAZINE JAPON

Petit Bateau fête ses 130 ans cette année, comment renforcez-vous l’attachement à la marque ? 

Cet anniversaire est l’occasion de rappeler que Petit Bateau a toujours été une marque pionnière et avant-gardiste dans son industrie, par exemple c’est elle qui a inventé la petite culotte (Étienne Valton, fils de Pierre Valton - créateur en 1893 à Troyes d’une bonneterie spécialisée dans les sous-vêtements-, a eu l’idée de couper les jambes des caleçons alors d’usage à l’époque, et d’introduire le principe de l’élastiquage à la taille et aux cuisses, NDLR). Notre enseigne s’est aussi très vite emparée des sujets environnementaux, parfois sans le savoir. Cela fait 130 ans qu’on transmet nos vêtements de génération en génération. Aujourd’hui, nous l’affirmons et mettons la RSE au cœur de notre stratégie. Notre ambition est d’être la marque la plus durable et inspirante de l’enfance. Tous nos arbitrages se font par rapport à cette éco-responsabilité.

Notre ambition est d’être la marque la plus durable et inspirante de l’enfance.

Petit Bateau - © D.R.
Petit Bateau - © D.R.

Dans quelques jours, nous célébrerons notre anniversaire avec une campagne TV -notamment du sponsoring- mais aussi des affichages publicitaires. Nous voulons rappeler notre positionnement, avec ce côté un peu espiègle et enfantin qu’on a toujours aimé. Nous organiserons également en juin et octobre des portes ouvertes dans notre usine de Troyes. Enfin, et pour la première fois, nous préparons un événement début juin pour la Famille Petit Bateau : nos clients et nos collaborateurs avec des temps forts sur l’éducation à la circularité, des défilés avec des enfants…

Mettre cette éco-responsabilité au cœur de l’entreprise, a-t-elle nécessité d’embarquer les collaborateurs ?

Cela a été plus de la mettre en forme et d’aligner tout le monde sur ce qu’on voulait faire. Plutôt que de faire parfois trop de choses qui peuvent être en dehors de cette durabilité de la marque. Nous aimons l’innovation chez Petit Bateau mais il faut la remettre au service de nos projets. Nous avons cette envie de transformer l’industrie du textile, en particulier celle de l’enfance.

Mon rôle est essentiellement de donner du sens et de le formuler de façon assez simple pour que chaque jour nous puissions vraiment le vivre dans nos actions, notre quotidien. Par exemple, nous donnons deux jours à nos salariés pour qu’ils puissent aller éduquer les écoliers, avec une association, sur l’importance de l’eau, d’avoir un textile durable… Il est important d’incarner nos propos.

Vous avez fait le choix d’une stratégie de proximité dans la fabrication de vos vêtements en France et dans le bassin méditerranéen (Maroc et Tunisie). Quels sont les avantages ?

L’usine de Petit Bateau à Troyes - © D.R.
L’usine de Petit Bateau à Troyes - © D.R.

Depuis une vingtaine d’années, nous sommes sur le proche-import, avec une usine également au Maroc. Ce choix nous a beaucoup aidés ces deux dernières années (avec la crise sanitaire) et permis de gagner en réactivité. Nous sommes capables, grâce à nos usines et notamment celle de Troyes, de produire rapidement des produits qui se vendent et non 6 ou 12 mois à l’avance, des articles sur lesquels on ne peut connaître les ventes. Nous avons moins de produits stockés et donc d’invendus en fin de saison. Nous revenons toujours à cette notion de durabilité : « Comment l’usine nous permet d’être plus durable », que ce soit sur l’électricité, l’eau ou la façon de produire.

Nous tricotons plus de 50 % de nos matières à Troyes, en amont, afin d’avoir de la matière prête à être soit imprimée ou colorée pour répondre à un besoin client. Si nous observons que les ventes d’un tee-shirt s’accélèrent, nous allons le reproduire très vite dans notre usine. Nous sommes capables de le faire en une semaine ou 10 jours maxi. Un avantage considérable au profit de la durabilité de la marque. Cette usine est le cœur de notre savoir-faire. Nous avons ainsi développé une école de formation.

Pourquoi avez-vous lancé cette école de formation ?

Il n’existe plus d’école pour de la confection et du tricotage en France. Nous avons dû ouvrir notre propre école, il y a 4-5 ans, pour pouvoir former nos employés. Tous les mois, nous avons des jeunes et des moins jeunes qui viennent nous rejoindre. Des personnes en recherche d’emploi que nous formons à ces nouveaux métiers de tricotage ou de confection. Nous sommes à chaque fois sur des promos d’une trentaine de personnes. Nous sommes aujourd’hui l’un des premiers employeurs de textile en France, avec 450 salariés (auxquels il faut rajouter les 180 employés du centre de distribution).

Vous investissez fortement dans votre usine de Troyes, quels sont les axes de modernisation ?

Depuis deux ans, nous investissons dans la réduction de nos consommations d’eau et d’électricité. Notre programme d’investissements se situe entre 5 à 6 millions d’euros, avec l’achat de machines de teinture par exemple. Elles consomment 40 % d’eau en moins et permettent de récupérer les vapeurs d’eau pour moins chauffer l’eau, etc. Par rapport à 2019, nous avons ainsi diminué de 30 % la consommation d’eau et réduit de 20 % nos émissions de CO2. Nous avons également investi dans une machine d’impression numérique, plus économe en énergie et eau, et qui nous permet d’aller beaucoup plus vite lors de la production des vêtements. Mais aussi dans de nouvelles machines de coupe, plus électroniques et automatiques, afin de mieux ajuster les produits et d’avoir moins de pertes de matières.

Notre ambition est de réduire de 95 % nos consommations d’eau et d’énergie par rapport à 2019.

Notre ambition est d’être en circuit fermé afin qu’en 2030 nous ayons réduit de 95 % nos consommations d’eau et d’énergie par rapport à 2019. Nous sommes sur notre trajectoire face à cet important défi. Nous utiliserons ce savoir-faire troyen dans notre usine du Maroc, en allant plus loin sur la récupération de l’énergie solaire. Nous réfléchissons ainsi à l’installation de panneaux solaires dès cette année. Enfin, nous voulons que ce cheminement se fasse également chez nos partenaires en leur demandant d’avoir la même démarche dans les années qui viennent.

On parle de plus en plus de l’IA dans le retail. Quels sont vos usages concrets des nouvelles technologies ?

Nous effectuons beaucoup de tests sur nos produits pour être sûr de leur qualité, contrairement à la fast fashion. Nos tee-shirts doivent tenir à plus de 120 lavages. Cela a toujours été dans l’ADN de Petit Bateau. Aujourd’hui, nous détectons des défauts du tricot dès sa confection.

Avec l’IA, nous allons pouvoir le détecter en amont via des caméras qui sont sur les machines à tricoter ou par du machine learning afin de connaître la probabilité lorsqu’on utilise tel fil qu’il puisse rompre… Nous restons toujours dans ce sens premier : la durabilité produit pour consommer moins et perdre moins de matières. Nous voulons que nos produits durent au moins 5 vies, c’est-à-dire qu’ils puissent être transmis cinq fois.  

Quels sont les points clés de votre stratégie sur la durabilité des produits ?

D’ici à 2030, nous souhaitons qu’un tiers de nos volumes soit issu de la circularité  : seconde main et location. Aussi, nous accélérons sur la seconde main, avec plus de corners. Depuis plus d’un an, nous collectons dans nos 150 magasins en France. Nous revendons les articles dans 22 corners aujourd’hui (vs 16 l’an dernier), avec 6 à 8 supplémentaires dans quelques semaines. Nous sommes sur un rythme de collecte d’un peu plus de 200 000 pièces par an. Nous avons démarré au Japon cette année (2e pays de Petit Bateau en chiffre d’affaires, NDLR) via un corner [dans un magasin]. Nous sommes très contents du démarrage, où cela est très précurseur. Dans les prochains mois, nous allons déployer le service dans nos marchés européens.

D’ici à 2030, nous souhaitons qu’un tiers de nos volumes soit issu de la circularité : seconde main et location.

En France, la seconde main représente déjà 10 % des ventes de nos magasins [qui ont un corner]. Un chiffre déjà conséquent, car nous observons une vraie demande client. Sur l’achat de seconde main en magasin, notre NPS (Net Promoteur Score) est à plus de 60. Nous avons lancé, en février, la vente de seconde main sur notre site e-commerce. Un grand succès qui nécessite de collecter encore plus de produits, notamment pour l’offre adultes. Nous sommes les seuls en France (voire en Europe) à proposer sur un même site et donc dans un même panier l’achat de produits neufs et d’occasion. 

Est-ce difficile de fixer les prix de revente ?

C’est un sujet en effet : « Quel est le bon prix d’achat ? Et celui de revente ? ». Nous sommes sur un marché qui est en train de se créer. Evidemment les clients comparent, donc nous ajustons en permanence pour trouver le bon prix, comme pour le prix d’un body. Il doit prendre en compte la concurrence, mais aussi chez Petit Bateau le traitement du produit et son nettoyage (réalisé en interne), et le remerchandising en magasin. Ces étapes ont un coût : vendre de la seconde main ne doit pas se faire à perte. Aujourd’hui, nous avons un vrai modèle économique.

Nous garantissons la qualité du produit avec les mêmes services que du neuf.

Nous garantissons la qualité du produit avec les mêmes services que du neuf. Chez Petit Bateau, le client peut le ramener, se faire rembourser… Nous ne faisons aucune différence entre la seconde main et l’occasion y compris dans le bon d’achat, valable sur les deux catégories. Sur internet, nous observons que 75 % des paniers sont composés de produits neufs et d’occasion. Les acheteurs savent qu’il y une vraie valeur de revente.

Mi-novembre, vous avez lancé un service de location en ligne de vêtements. Quels sont les premiers retours ?

La location de vêtements pour bébé - © D.R.
La location de vêtements pour bébé - © D.R.

La location fonctionne en mode start-up chez Petit Bateau. Nous sommes en apprentissage continu. Le marché n’existe pas, avec très peu d’offres sur le vêtement enfant. Cela nécessite un travail très fort de marketing pour comprendre ce nouveau moyen consommation et cette nouvelle attitude d’achat. Nous comptons beaucoup de visites mais la location est plus complexe à expliquer : location pour une période, sans engagement, un paiement au moment du retour… Nous essayons de proposer le service le plus durable possible. Nous expérimentons également des box libres et déjà préconçues et regardons ce qui fonctionne le mieux. Pour l’instant, commercialement, la location reste très faible versus la seconde main. Cela prendra du temps. Nous développerons peut-être la location également en magasin.

Prévoyez-vous des ouvertures de magasins en France et à l’international ?

Compte tenu du marché français toujours tendu, aussi bien sur le pouvoir d’achat et le marché de l’habillement, nos ouvertures sont prévues sur l’Asie-Moyen-Orient. Cette zone fonctionne très bien et nous continuons à accélérer, notamment en Israël et à Dubaï. Nous avons aussi ouvert l’Arabie Saoudite.

Avec la réouverture de la Chine, où nous comptons une quarantaine de magasins, nous prévoyons d’atteindre les 50 points de vente fin 2023. La Corée du Sud est aussi un pays où nous avons de fortes ambitions, avec probablement une dizaine de magasins et un site internet propre en fin d’année. Nous ouvrirons certainement d’autres pays en 2024-25.

Concernant l’e-commerce, les ventes en ligne sont-elles toujours aussi fortes ?

Nous réalisons 30 % de nos ventes en ligne. Nous ne changeons pas notre objectif d’atteindre 50 % dans l’e-commerce fin 2025. Nous consolidons les parts de marché gagnées ces dernières années, avec 70 % de croissance sur trois ans, quand le marché était plutôt à 20 %. Depuis quelques mois, l’e-commerce, quel que soit le secteur, connaît des difficultés. Nous ne sommes pas épargnés, la croissance est plus difficile à faire. Sur le premier trimestre, nous étions en décroissance. En revanche, depuis mars, nous sommes de nouveau en croissance grâce à nos nouvelles fonctionnalités : la seconde en main en ligne et une présence plus forte sur les marketplaces. Nous pensons refaire une croissance à deux chiffres au 3e ou 4e trimestre.

Au global, l’année 2022 a été bonne, en croissance en France (plus de 60 % de l’activité) mais plus compliquée dans la zone Asie avec de nombreux pays clés fermés (Japon, Chine et Corée du Sud). Nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 270 millions d’euros.