Stratégie retail

Centrakor : « L’arrêt de l’e-commerce ne signifie pas l’arrêt de la digitalisation »

Par Dalila Bouaziz | Le | Enseignes

Face aux défis d’un marché sous tension, Nathalie Grand Clément, directrice générale de Centrakor, partage sa vision stratégique après l’arrêt de l’e-commerce : investir dans des outils digitaux pour améliorer l’expérience client et l’efficacité opérationnelle, plutôt que de maintenir un modèle inadapté.

Nathalie Grand Clément, directrice gérérale de Centrakor, partage sa vision stratégique. - © D.R.
Nathalie Grand Clément, directrice gérérale de Centrakor, partage sa vision stratégique. - © D.R.

Comment se porte votre enseigne ?

L’année n’est pas encore totalement terminée, et les deux semaines restantes seront déterminantes. Elles pourraient faire basculer notre bilan, donc il est encore difficile de prédire précisément comment nous atterrirons (Centrakor a réalisé un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2023, NDLR). Cela dit, nous restons optimistes. 2024 a tenu toutes ses promesses : comme nous l’avions annoncé, elle a été « sportive ».

Malgré un climat de consommation morose et des tensions sur le pouvoir d’achat, nous avons su maintenir nos performances grâce à notre réseau de 480 magasins physiques. C’est là que se joue notre avenir : sur le terrain, au plus près des clients. Le commerce physique est notre principal atout face à la concurrence, et nous capitalisons sur notre savoir-faire dans ce domaine. Dans un secteur en perpétuelle évolution, nous devons rester alertes, adaptables et innovants pour répondre aux attentes.

Avez-vous eu des ouvertures de magasins cette année ?

Oui, nous avons ouvert une vingtaine de magasins en 2024. Cela témoigne de notre dynamisme. Pour 2025, une douzaine d’ouvertures sont déjà prévues. Cependant, notre priorité reste la progression à réseau constant : nous ne voulons pas compter uniquement sur l’expansion pour afficher de la croissance.

Quels ont été vos grands chantiers ?

2024 a marqué une étape importante avec le déploiement national de notre programme de fidélité en juin. En parallèle, nous avons réalisé une vaste étude auprès de 12 000 clients porteurs de la carte, avec une cinquantaine de questions très détaillées. Les résultats sont extrêmement riches et nous ont permis de mieux cerner les attentes de nos clients, notamment en matière d’offre produit, d’expérience en magasin et d’agencement. Sur cette base, plusieurs chantiers ont été lancés, avec un déploiement prévu dès 2025. Nous travaillons notamment sur des évolutions dans la présentation de l’offre, de nouveaux « corners » dédiés à des gammes plus pointues, en réponse à des demandes spécifiques de nos clients fidèles.

Nous n’allons pas révolutionner notre offre, mais nous allons pousser certains segments qui existent déjà, en allant plus loin là où nous avons identifié une forte attente. Nous présenterons ces nouveautés en janvier prochain lors d’un grand événement avec l’ensemble de nos adhérents. Ce sera l’occasion d’acter ces stratégies et de valider notre plan d’action avec notre réseau.

Nous avons également testé des services de livraison à domicile collaborative, en partenariat avec différentes plateformes. Toutefois, ces expérimentations restent à l’échelle locale, car elles dépendent beaucoup du maillage territorial. Pour l’instant, ce sont des projets pilotes et nous ne prévoyons pas encore de déploiement national.

Le programme de fidélité semble avoir été une avancée majeure pour vous cette année. Quel en est l’impact ?

Notre programme de fidélité existait déjà, mais il était jusqu’ici lié à chaque magasin. Désormais, il est valable dans tous les magasins participants au programme national, ce qui change tout. Cela nous permet de mieux servir nos clients fidèles.

Aujourd’hui, nous comptons près de 6 millions de porteurs de carte actifs.

55 % de nos clients utilisent leur carte en caisse, un taux très élevé. Il est essentiel de souligner que nous nous concentrons avant tout sur la fidélisation de nos clients existants. Nous savons qu’ils sont nos meilleurs ambassadeurs. En les choyant et en investissant pour qu’ils soient pleinement satisfaits, ils deviennent les prescripteurs naturels de notre enseigne auprès de leur entourage. Cet investissement a, pour nous, beaucoup plus de pertinence qu’une stratégie tournée vers une vente en ligne désincarnée. Notre promesse reste celle d’un commerce physique incarné, où nos équipes jouent un rôle central pour offrir une expérience client de qualité.

Pourquoi avoir communiqué sur l’arrêt de l’e-commerce, alors que ce n’est pas un axe majeur dans votre secteur ?

Nous sommes effectivement allés un peu à contre-courant. Dès que nous avons commencé à en parler, certains ont pensé que c’était une décision rétrograde, voire conservatrice, alors que c’est tout le contraire. Nous avons donc choisi d’assumer ce choix et de communiquer dessus de manière transparente, pour éviter les malentendus. Il ne s’agit absolument pas d’un arrêt de la digitalisation. Bien au contraire, nous continuons d’investir massivement dans des outils digitaux, mais nous préférons concentrer nos efforts là où ils sont les plus pertinents. Par exemple, notre application de fidélité est pour nous un outil central, bien plus stratégique que le site de vente en ligne.

Nous aimons aussi, parfois, sortir des sentiers battus et aller à rebrousse-poil de la tendance générale. Cela fait partie de notre identité. Nous l’avions déjà fait par le passé avec les catalogues papier, alors que tout le monde annonçait leur disparition au profit du digital. Cette démarche de « pas de côté » correspond à notre façon de construire notre évolution, en suivant notre propre voie plutôt que des injonctions externes.

La part de l’e-commerce dans votre chiffre d’affaires étant par ailleurs assez faible…

Tout à fait. Nous n’aurions pas pris cette décision si cela avait représenté un chiffre d’affaires significatif. Mais il faut distinguer un chiffre d’affaires important et une activité rentable. Là, nous n’avions même pas besoin de poser la question de la rentabilité, car les chiffres étaient tout simplement anecdotiques.

L’e-commerce avait toujours été présenté comme un service offert aux clients qui n’avaient pas la chance d’avoir un magasin à proximité. En parallèle, nous continuons à ouvrir de nouveaux magasins, ce qui nous permet de rester proches de nos clients. C’est d’ailleurs un message que nous avons relayé : certains clients qui commandaient en ligne auront bientôt un magasin à proximité grâce à notre dynamique de développement.

Quelles actions spécifiques avez-vous menées pour attirer vos clients en magasin ?

Nous avons deux approches principales pour le drive-to-store. La première concerne nos clients fidèles, avec lesquels nous communiquons via des canaux spécifiques grâce au programme de fidélité. Ensuite, sur le volet conquête et prospection, notre priorité est d’avoir une offre attractive en magasin. C’est la base. Avant même de communiquer, nous devons nous assurer que les produits et les prix sont suffisamment pertinents pour capter l’attention.

Pour exprimer ces offres attractives, nous adaptons nos actions aux produits et aux supports les plus efficaces. La radio reste un média puissant pour générer du trafic. Nous l’utilisons pour certaines offres car son impact est immédiat et large. Les campagnes digitales jouent également un rôle central. Cette année, nous avons particulièrement travaillé sur les réseaux sociaux, où nous avons observé des succès impressionnants.

Par exemple, un simple post d’un magasin montrant un rayon de chaussettes à paillettes à message a généré un véritable buzz. Avec une vidéo bien construite, utilisant la bonne musique et une tendance du moment, nous avons atteint 4 millions de vues en seulement deux jours. Cela prouve la puissance des réseaux sociaux pour amplifier la visibilité d’un produit et générer du trafic en magasin, même sans l’intervention d’influenceurs. Enfin, pour des campagnes plus ciblées, nous utilisons des actions display en digital, adaptées aux produits et à nos cibles. Nous partons toujours du produit : selon sa nature et l’audience visée, nous déterminons les meilleurs leviers pour l’exprimer et le mettre en valeur sur le bon support.

Face à des concurrents agressifs, comment parvenez-vous à rester compétitifs ?

Nous avons choisi de ne pas entrer dans une course frontale uniquement sur le prix, même si nos tarifs restent très compétitifs. Notre différenciation repose sur une approche qui privilégie l’expérience client en magasin. Chez Centrakor, nous voulons que les clients prennent plaisir à venir dans nos magasins. Cela passe par un environnement soigné, agréable, avec un éclairage de qualité et des mises en scène inspirantes, notamment sur la partie décoration. C’est un véritable atout qui nous est régulièrement souligné par nos clients. Ils viennent chercher des idées, des produits tendance, tout en profitant de choix larges et variés. Ce positionnement, qui associe prix attractifs et inspiration, renforce notre identité propre.

L’une de nos priorités est de tenir nos promesses. Nos clients savent qu’ils trouveront en magasin les produits qu’ils recherchent, sans mauvaise surprise. Par exemple, nous avons lancé l’offre « Prix bas toute l’année », une sélection claire de produits essentiels à des tarifs compétitifs, disponibles de façon continue. Cette approche permet d’assurer une fiabilité qui fait la différence, en opposition aux logiques d’opportunité purement temporaires.

Notre récente étude a confirmé ces choix stratégiques. Ils apprécient le plaisir qu’ils prennent à visiter nos magasins, la richesse de notre offre et la fiabilité de notre modèle. Cela nous conforte dans notre décision de miser sur le commerce physique et sur une expérience client de qualité pour rester compétitifs face à un marché en constante évolution.

Avez-vous rationalisé l’offre décoration, une catégorie en baisse, pour augmenter d’autres segments ?

L’évolution de l’offre se fait à l’échelle de chaque magasin. Nos points de vente vivent et s’adaptent tout au long de l’année, avec une flexibilité que nous appelons un « effet accordéon » : certains rayons s’étendent ou se resserrent selon les saisons et la demande locale. Par exemple, dans des magasins où la décoration était très dominante, l’offre a pu être rationalisée pour laisser plus de place au bricolage ou au jardinage si ces segments répondaient davantage aux attentes des clients.

C’est la force de notre réseau, composé à 75 % d’indépendants qui ajustent leur assortiment en fonction des besoins spécifiques de leur zone de chalandise. Nous ne sommes pas dans une logique de standardisation rigide. Un magasin sur le bassin d’Arcachon va naturellement privilégier la décoration, tandis qu’un point de vente en Anjou mettra davantage l’accent sur le jardin ou le bricolage. Cette souplesse nous permet de nous adapter aux particularités locales et même, parfois, à la présence de concurrents à proximité.

Vous êtes principalement présents en périphérie. Avez-vous l’ambition de vous implanter en centre-ville ?

C’est une question qui revient régulièrement et à laquelle nous avons beaucoup réfléchi. Le centre-ville est une option séduisante, car il y a une vraie demande, mais c’est un modèle complètement différent de celui que nous exploitons actuellement. Nos magasins reposent sur des équilibres qui nécessitent des superficies adaptées, des espaces de stockage et des parkings pour accueillir nos clients dans les meilleures conditions.

Aujourd’hui, nous n’avons pas prévu de nous implanter en centre-ville. Mais si nous décidons un jour d’y aller, ce sera avec un concept spécifique, retravaillé et pensé pour cet environnement particulier. Il ne s’agira pas simplement d’un format réduit ou d’un copier-coller de notre modèle actuel. Nous avons déjà réalisé des études et des simulations pour anticiper cette évolution, car nous avons eu des propositions concrètes.

Pour l’instant, ce n’est pas une priorité, mais nous restons ouverts aux opportunités. Si des occasions se présentent en 2025 ou 2026, nous serons prêts à les saisir avec un modèle adapté, conçu pour répondre aux contraintes et aux attentes du centre-ville.

Quid de votre développement en Espagne ?

Nous avons malheureusement dû fermer temporairement notre magasin à Valence à la suite des intempéries dévastatrices. Heureusement, nos équipes n’ont pas été blessées. Le magasin rouvrira début mars 2025. Par ailleurs, nous prévoyons d’ouvrir un deuxième magasin à proximité de Madrid au même moment.

Quels sont vos principaux enjeux pour l’avenir ?

Nos grands enjeux sont de renforcer la fidélité de nos clients, de faire évoluer notre offre pour répondre aux attentes de demain, et de continuer à attirer de nouveaux segments, notamment les jeunes générations. Nous devons rester agiles et innovants, toujours à l’écoute de nos clients pour anticiper leurs besoins et les satisfaire durablement.