Critères, notation, difficultés, comment Yves Rocher s’empare du Green Impact Index
Par Dalila Bouaziz | Le | Communication
Alexandra Ferré, directrice Impact et RSE d’Yves Rocher, revient sur le lancement du Green Impact Index, développé en collaboration avec un consortium de 22 marques, un outil innovant pour évaluer l’impact écologique et sociétal des produits, avec l’ambition d’en faire un standard de la beauté responsable.
En quoi le Green Impact Index se distingue-t-il des initiatives similaires proposées par d’autres acteurs du marché ?
Chez Yves Rocher, il y a une volonté de démocratiser la beauté responsable. L’objectif de cet index était de s’associer à d’autres marques déjà très engagées et de créer un outil accessible également pour les petites marques qui voudraient planter dans l’évaluation de l’impact social et environnemental de leurs produits, et que cet outil soit ouvert au plus grand nombre. D’autres initiatives existent, mais elles touchent plutôt des grands mastodontes de la beauté. On voulait aussi inclure des plus petites marques engagées mais n’ayant pas les mêmes moyens ni les mêmes budgets pour faire de l’évaluation environnementale et sociale.
L’objectif est d’en faire un standard dans l’industrie de la beauté ?
Tout à fait. Notre objectif est vraiment de devancer les lois, car beaucoup de réglementations arrivent sur le sujet de l’affichage de l’impact environnemental et social. On le voit dans le textile, la nutrition, et on sait que pour la beauté cela va vraisemblablement arriver entre 2026 et 2027. L’idée est de montrer dès maintenant au régulateur que ce type d’outil est non seulement faisable mais aussi souhaitable pour le consommateur.
Nous voulons être pionniers dans ce domaine, et nous pensons que ce serait très intéressant que cela devienne une norme dans l’industrie de la beauté.
Comment s’est déroulé le processus de développement ?
Cela fait maintenant deux ans que nous travaillons dessus. Ce projet est né au sein d’un consortium autogéré regroupant 22 entreprises (Klorane, Avène, Dr. Pierre Ricaud, Decathlon, Laboratoires Ducray, Léa Nature, René Furterer, etc.), organisé sous forme d’association indépendante, et donc extérieur aux marques. Ce consortium s’est réuni pour créer une méthodologie basée sur 50 critères couvrant l’impact de la formule, le transport, les ingrédients, le packaging, et les engagements sociétaux des entreprises.
Nous avons travaillé avec l’Afnor pour avoir un tiers indépendant et garantir la robustesse de cette méthodologie. Chaque marque utilise cette méthodologie pour évaluer ses produits selon les critères et afficher les notes.
Quels sont les critères principaux pour évaluer l’impact environnemental des produits ?
80 % de la note est liée à l’impact environnemental et 20 % aux critères sociétaux. Parmi les éléments clés de l’impact environnemental, on a la formule (son taux de naturalité, les ingrédients controversés, etc.), le packaging (recyclabilité, poids, intégration de matières recyclées), la fabrication (engagements de l’usine, certification ISO…), et le transport (kilométrage et moyen de transport des produits et matières premières).
Pour l’impact sociétal, on évalue également l’usine, la fabrication, les matières premières, les engagements sur le bien-être animal, et d’autres aspects globaux comme les certifications d’entreprise.
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Une des principales difficultés, qui fait aussi la robustesse de cet index, était de co-construire avec des entreprises de tailles et de typologies de produits différentes, ayant leurs propres intérêts et outils internes. Parvenir à réunir tous ces acteurs et à sortir un outil labellisé par l’Afnor montre notre capacité à co-construire avec des compétiteurs, ce qui a été à la fois notre plus grand défi et notre plus grande réussite.
Noter chaque produit prend énormément de temps. Yves Rocher, étant leader de la beauté en France, dispose d’un portefeuille de produits très exhaustif, et chaque notation implique un travail minutieux de nos experts.
Concernant les produits mal notés que prévoyez-vous ?
Aujourd’hui, nous disposons de produits bien notés en termes d’expertise de soins du visage, avec des évaluations allant de A à B. Sur le maquillage, cela est plus challengeant, avec des notes autour de C et D, par exemple. L’objectif est de faire du Green Impact Index un outil d’amélioration continue en interne.
Tous les produits ayant de faibles évaluations sur cet index font l’objet d’un plan d’action. Ce plan peut conduire à la suppression des produits impossibles à améliorer, faute d’alternatives, ou à des actions de développement, comme une reformulation pour optimiser la formule, ou encore un redesign du packaging pour l’améliorer.
Combien de produits sont actuellement notés ?
Aujourd’hui, sur le site internet, nous avons affiché 12 produits. D’ici la fin de l’année, ce nombre passera à 50, avec une première vague déjà en ligne et une deuxième prévue en novembre. Ces produits sont particulièrement importants pour la marque, car ils incluent les best-sellers, ceux qui génèrent le plus de volume et de chiffre d’affaires, ainsi que nos produits les plus engagés. L’objectif est de voir si le Green Impact Index fonctionne aussi bien sur ces produits.
Environ 15 % de nos produits seront couverts par le Green Impact Index d’ici la fin de l’année. Notre objectif est d’augmenter ce pourcentage progressivement pour atteindre une couverture de 100 % de nos produits d’ici 2030. Plutôt que de se baser sur le nombre total de références, nous évaluons l’impact de l’index en fonction du pourcentage du chiffre d’affaires. À partir de l’année prochaine, toutes les nouvelles références de produits que nous développerons seront systématiquement évaluées avec cet index, permettant ainsi d’identifier les améliorations à chaque étape de leur conception.
La méthodologie est en constante évolution. Avec tous les membres du consortium, nous adaptons l’index aux nouveaux enjeux environnementaux, à l’évolution réglementaire, et aux contraintes qui vont émerger de l’Europe.
Comment communiquez-vous sur cette initiative pour sensibiliser les clients ?
Cette année, notre communication sur le Green Impact Index est restée assez discrète, car d’autres projets prioritaires ont mobilisé notre attention. Pour l’instant, l’affichage de cet index se fait principalement sur les fiches produits du site internet, qui constituent le premier point de contact pour les clients souhaitant en savoir plus sur un produit.
À partir de janvier 2025, nous lancerons des contenus pédagogiques plus poussés, notamment sur les réseaux sociaux. En parallèle, en retail, nous avons formé notre personnel de vente pour qu’il puisse expliquer cette initiative aux clients en magasin. L’année prochaine, le Green Impact Index sera plus visible en boutique avec un affichage dédié, incluant des écrans en caisse où la consommatrice pourra voir la note du produit. Ainsi, cet index s’intégrera de manière naturelle dans le parcours d’achat, tant en ligne qu’en magasin.
80 % de la note est liée à l’impact environnemental et 20 % aux critères sociétaux.
L’objectif est-il d’inclure davantage de marques pour promouvoir cette transparence dans l’industrie ?
Absolument, l’un de nos objectifs principaux est de faire en sorte que cet outil soit adopté par un maximum de marques, afin que l’expérience consommateur devienne fluide et cohérente, peu importe l’enseigne ou la marque. L’idée est qu’un client puisse accéder facilement à des indications sur l’impact environnemental et social des produits, lui permettant ainsi de comparer entre différentes marques.
Nous pensons que l’un des freins majeurs à la consommation responsable réside dans le manque de transparence et de clarté des données disponibles, et cet outil vise justement à pallier cela en offrant une information accessible et compréhensible.
Comment cette initiative a-t-elle été accueillie en interne ?
Cette initiative a été largement soutenue par les équipes internes, en particulier les experts des laboratoires, du packaging et de la formulation, qui ont contribué à développer la méthodologie. Pour ces équipes, c’est une véritable reconnaissance de leur travail, car bien que des évaluations internes, comme l’écoscore de la formule et celui du packaging, existaient déjà, elles manquaient de crédibilité aux yeux des consommateurs en raison de leur caractère auto-déclaré. Désormais, avec un score validé par un tiers indépendant et adopté par d’autres marques, cette évaluation gagne en statut et en légitimité.
Pour les équipes marketing et développement de produits, cet index devient également un outil précieux d’aide à la décision. Il leur permet d’optimiser les produits dès la phase de conception. Par exemple, ils peuvent interroger l’impact sur le score en fonction des choix de packaging ou d’ingrédients, ce qui les aide à concevoir des produits plus responsables dès le départ.
Et du côté des fournisseurs ?
Nous internalisons une grande partie de la production, ce qui constitue un atout pour le Green Impact Index. Cependant, nous avons également entamé un travail avec nos fournisseurs et sous-traitants pour améliorer leur impact dans le cadre de cet index. Avec eux, nous envisageons des plans d’action concrets, comme la mise en place de certifications spécifiques, afin de réduire leur empreinte environnementale.
Cela crée un dialogue enrichissant et facilite un transfert de compétences : notre expertise avancée sur certains sujets peut compléter leurs connaissances dans d’autres domaines. Cette collaboration autour du Green Impact Index vise à co-construire des améliorations concrètes, avec l’ambition de les concrétiser d’ici 2025-2026.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Nous souhaitons communiquer plus largement, internationaliser cet index sur nos grands marchés européens, et collaborer avec nos fournisseurs pour optimiser nos scores.
Nous avons identifié des marchés prioritaires comme l’Italie, le reste de l’Europe (Espagne, pays nordiques), la Turquie et le Canada. Nous envisageons l’internationalisation du Green Impact Index avec une stratégie ciblée. Nous avons considéré deux approches : se concentrer d’abord sur nos principaux marchés, comme la Turquie et l’Italie, ou prioriser les pays où des systèmes similaires, comme le Nutri-Score, sont déjà bien intégrés et reconnus. La familiarité de ces marchés avec des indices comparables peut faciliter l’assimilation et l’acceptation du Green Impact Index.
L’objectif est de lancer le Green Impact Index dans ces pays début 2025, avec une communication alignée sur les sites e-commerce, en retail et sur les réseaux sociaux, afin d’assurer une visibilité cohérente et engageante.
Avez-vous déjà observé une évolution dans le comportement des consommateurs depuis sa mise en place ?
C’est un peu trop tôt, puisque cela fait un peu plus d’un mois que cela est publié sur notre site internet. Cependant, avant de lancer cet index, nous avions réalisé une étude avec des consommateurs de toutes marques de beauté en France pour évaluer leur compréhension du Green Impact Index et son effet sur leurs intentions d’achat. Nous avons observé que le Green Impact Index était bien compris, notamment parce qu’il ressemble au Nutri-Score dans son affichage et son visuel. Il a été très bien accueilli, car les consommateurs disaient vouloir consommer mieux sans savoir toujours comment faire concrètement.
Le Green Impact Index répond à ce besoin de manière simple, pragmatique et facilement accessible. Concernant les intentions d’achat, on remarque qu’il aide les consommateurs lorsqu’ils hésitent entre plusieurs produits. Ils vont plus facilement opter pour celui qui est mieux noté. Cependant, pour des produits habituels ou préférés depuis plusieurs années, il reste difficile de les orienter vers un autre choix même avec une meilleure note sur le Green Impact Index. Ce n’est pas encore déterminant, mais cela aide en cas de doute.
Pensez-vous que cette transparence environnementale va devenir un critère principal pour les consommateurs à l’avenir ?
Je pense que cela restera un critère, mais secondaire. Ce qui va primer, et c’est aussi sur cela que nous nous battons chez Yves Rocher, c’est toujours l’efficacité du produit, son usage, sa praticité, puis son prix, et ensuite les éléments liés à l’impact environnemental et social.