Stratégie retail

Franchise, international, e-commerce… La feuille de route de Bricorama, Bricomarché et Brico Cash

Par Dalila Bouaziz | Le | Enseignes

Bricorama, Brico Cash et Bricomarché progressent dans un marché du bricolage en recul. Entre gains de parts de marché, déploiement de la franchise et innovations, Laurent Pussat, président d’ITM Equipement de la maison (les Mousquetaires), détaille sa stratégie pour relever les défis économiques dans un contexte compliqué.

Laurent Pussat, président des enseignes Bricorama, Bricomarché et Brico Cash depuis 2021. - © photo depoorter photodepoorter.fr
Laurent Pussat, président des enseignes Bricorama, Bricomarché et Brico Cash depuis 2021. - © photo depoorter photodepoorter.fr

Comment se portent vos enseignes Bricorama, Brico Cash et Bricomarché ?

Nous avons généré un chiffre d’affaires de 3,4 milliards dans un marché du bricolage en recul de 1,5 %. Nous étions à -0,10 %. Nous avons gagné en part de marché dans un marché très en retrait, là où certains de nos concurrents sont à -6 %. Au cumul à fin avril, nous restons positifs grâce à notre proximité et notre croissance externe. En ce début d’année, nous reprenons des parts de marché. Les Mousquetaires du bricolage sont au rendez-vous de nos objectifs. Nous sommes le 3e acteur dans le marché du bricolage (derrière Adeo et Kingfisher) et le n° 1 parmi les indépendants (devant Mr Bricolage).

Notre part de marché est de 15 % avec une volonté d’atteindre les 17 %.

Néanmoins, cette année 2024 reste très compliquée en raison de la hausse taux d’intérêt dans l’immobilier et de la mise en de l’arrêt du marché de de la construction.

Quelles sont vos dernières actualités ?

Nous allons déployer la franchise. Un nouvel axe pas totalement inconnu pour les Mousquetaires puisque nous disposons déjà de 34 franchisés depuis le rachat de l’enseigne Bricorama en 2018. Ce sont comme nous des chefs d’entreprise mais qui ne souhaitent pas être associés à toutes les décisions. Pour autant, ils veulent bénéficier de la puissance de notre Groupement et de la performance de nos enseignes. Depuis quelques années, nous avons également pris l’habitude chez les Mousquetaires d’accepter que certains adhérents puissent avoir des activités « secondaires », par rapport à la proportion de leur chiffre d’affaires, avec des magasins Fnac, But…

Notre objectif est de compter une centaine de magasins en franchise pour nos trois enseignes à horizon 5 ans.

Nous déploierons la franchise sur nos trois enseignes en France et dans les territoires ultramarins. La structure est en place avec un directeur de la franchise (Jean-François Martinez). Le droit d’entrée est de 10 000 euros, avec une redevance de 3 % du chiffre d’affaires hors taxes. Notre objectif est de compter une centaine de magasins supplémentaires en franchise sur nos trois enseignes à horizon cinq ans. Nous recensons aujourd’hui 657 magasins à date en France. Notre ambition est d’atteindre les 800. En 2025, nous voulons disposer déjà de 15 magasins franchisés.

Quelles sont leurs spécificités ?

Brico Cash est un format de dépôt discount. Son créneau est d’avoir du stock et des prix avec 12 500 références. Nous recensons 50 magasins avec un objectif de 100 grâce à la franchise.

Bricomarché, avec 473 magasins, est une enseigne leader en proximité et dans les périphéries d’agglomération ou en milieu rural. Les magasins recensent 35 000 références.

Bricorama, 122 magasins et 65 000 références, cible deux segments : être proche des grandes agglomérations et les cœurs de ville. Nous avons aussi des grands formats que vous trouvez par exemple dans les grandes villes : Châtillon, à Viry-Châtillon, Boulogne, Rambouillet, etc. proches des grandes agglomérations. Ces trois enseignes permettent d’adresser l’ensemble des besoins et attentes des consommateurs.

L’un des grands axes de mon mandat a été notre positionnement prix pour Bricorama et Brico Cash. Aujourd’hui, nos enseignes sont revenues à un point de l’enseigne leader (Leroy Merlin) en placement prix sur au moins 50 % de notre chiffre d’affaires.

Concernant les zones géographiques de ces points de vente, est-ce qu’il y a des zones blanches ou un maillage du territoire plus faible ?

Depuis le rachat de Tridôme fin 2023, nous sommes présents dans 100 % des départements français. Il nous manquait la Lozère. Aujourd’hui, nous y avons qu’un seul magasin mais il est possible d’en ouvrir 2 ou 3 autres. Nous voulons également mailler certains territoires où nos concurrents sont plus présents. Nous ne souhaitons pas en dire plus pour le moment.

Pourquoi les magasins Tridôme n’ont pas été rattachés à l’une de vos enseignes ?

Le rachat a été effectif le 30 septembre 2023. Tous les magasins ont été affectés aux adhérents qui avaient manifesté leur volonté de les récupérer. Nous avons choisi de ne pas faire un big-bang. Ce rachat s’est fait assez vite et nous n’avons pas voulu créer de la tension inutilement et de la précipitation. L’enseigne Tridôme fonctionne et elle est performante. Tridôme réalisait 150 millions d’euros de chiffre d’affaires, et 0,6 point de part de marché, quand nous les avons rachetés. Ils sont essentiellement dans le sud de la France. Ces 13 magasins recensent 600 collaboratrices et collaborateurs avec une surface totale de 64 000 mètres carrés.

Nous avons choisi de ne pas faire un big-bang.

Nous n’étions pas à deux années près pour les basculer en Bricorama ou Bricomarché suivant les cas. Les changements d’enseigne s’opéreront en 2025-26. Notre priorité a été de ne pas les vider en voulant mettre directement nos produits. Quand j’ai négocié avec Jean-Claude Albert (président de l’enseigne Tridôme avant le rachat), je lui ai dit de ne pas arrêter de commander. Je ne voulais pas que les magasins soient vides. Cette stratégie peut surprendre car elle est différente de celle choisie dans l’alimentaire avec les anciens magasins Casino ou pour les Carrefours en Belgique. Mon objectif était que ces magasins gardent leur savoir-faire et que nous puissions en profiter pour les appréhender. Par exemple, un savoir-faire peu présent dans nos enseignes est la présence de commerciaux qui sillonnent les routes pour vendre à des collectivités, des entreprises (matériaux). Chez nous, il n’y avait qu’un seul magasin du groupe en France qui le faisait, donc on va apprendre et commencer à le dupliquer dans certains grands Bricorama intéressés.

Comment se portent vos marchés étrangers ?

Nous sommes présents en Pologne et au Portugal, où nous ne disposons que de l’enseigne Bricomarché. Pour le moment, les deux autres formats ne sont pas sollicités. Sur le marché polonais, nous avons un fort déploiement avec 225 magasins. Nous sommes également le 3e acteur ex aequo du marché. L’objectif que nous nous fixons en Pologne est d’être le numéro 3 indiscutable du marché et le leader des indépendants.

Au Portugal, nous comptons 58 Bricomarché mais le déploiement est plus compliqué, en raison des difficultés à trouver de nouvelles surfaces avec une réglementation forte, comme en France, et un pouvoir d’achat en berne.

Nous avons eu deux Bricorama en Géorgie que nous avons fermés l’année dernière, le franchisé ayant souhaité arrêter ses activités de bricolage.

Qu’en est-il des ventes en ligne ?

Nos ventes en ligne ne sont pas suffisantes, nous sommes à 12 % en prenant l’ensemble des activités de nos enseignes bricolage en ligne. Nous sommes le 4e site avec Bricomarché le plus visité en bricolage, après ceux de Leroy Merlin, Manomano et Brico Dépôt.

Mon ambition initiale serait d’être au même niveau que notre part de marché, soit au moins 15 % de notre chiffre sur l’e-commerce. L’omnicanalité fait aussi sens dans notre secteur. Par exemple, aujourd’hui un client peut utiliser la cagnotte de sa carte de fidélité dans n’importe quel magasin ou en ligne. Nos histoires de magasins indépendants ne concernent pas nos clients et ne doivent pas les pénaliser.

Vous avez annoncé la fermeture cet été du site Brico Privé que vous aviez racheté en 2020. La plateforme affichait en 2022 un volume de vente de 100 millions d’euros. Que s’est-il passé ?

Il y a quelques années, les grands acteurs du bricolage se sont mis à l’e-commerce, pour contrer les pure players, y compris les Mousquetaires avec Brico Privé. Néanmoins, le site n’a pas arrêté de décliner depuis le rachat, comme cela a été le cas pour les acteurs en ligne du marché. Les clients ont opté pour les enseignes omnicanales. La réassurance de la marque est un point essentiel dans le bricolage, avec des produits techniques où il peut y avoir des problèmes de qualité. Il est toujours plus facile d’avoir un contact dans un magasin que sur le site.

La décision de fermer le site a été inéluctable. En revanche, elle a été difficile à prendre parce que vous avez bien évidemment des enjeux humains avec la suppression de 174 postes. Nous avons déclenché un plan de sauvegarde d’emploi (PSE). Nous avons connu moments de tension qui se sont par la suite apaisés. Nous sommes arrivés à un accord financier plus raisonnable. Notre priorité est de permettre aux salariés de retrouver le plus vite possible une activité via le reclassement et la formation. Nous avons effectué notre dernière réunion de PSE la semaine dernière et attendons l’homologation définitive de notre PSE par l’inspection du travail.

Sur Bricorama, vous avez lancé Paint, un assistant d’achat alimenté par l’IA, avec pour objectif d’accompagner les clients dans leurs travaux de peinture. Quels sont les premiers enseignements ?

Nous sommes toujours en phase d’apprentissage avec un peu de conversion et la prise en compte aussi d’axes d’amélioration. Certaines suggestions n’étaient pas réalistes en peinture. Il a fallu cadrer l’outil et lui fixer certaines barrières. Aujourd’hui, certains de nos vendeurs chez Bricorama s’appuient sur Paint en magasin pour aider le client à faire son choix en se projetant dans une pièce et créer un lien avec notre clientèle. Les équipes doivent apprendre à travailler avec l’IA.

Nous avons été les premiers à avoir lancé de l’IA générative. Nous repassons en avance de phase en étant proactifs. Et nous allons certainement déployer l’outil sur les autres sites et d’autres catégories comme la motoculture. Nous avons d’autres projets d’intelligence artificielle pour améliorer notre excellence opérationnelle, gagner du temps, réduire nos coûts… pour avoir la meilleure efficience possible.

Bricomarché teste l’achat et la vente d’outils d’occasion dans une dizaine de magasins. Quel retour en faîtes-vous ?

Cette initiative marche très bien. Le sujet n’est pas le client ou les magasins mais les filières qui ne sont pas assez structurées pour nos 657 magasins. Nous n’arrivons pas à trouver suffisamment de produits car vous ne pouvez pas juste reprendre des produits à des clients. La filière a besoin de s’industrialiser pour que nous puissions déployer le service au fur et à mesure dans nos points de vente. Dans notre secteur, les consommateurs n’ont encore pas le réflexe d’apporter leur vieille perceuse par exemple lors de l’achat d’une nouvelle pour qu’elle soit recyclée et revalorisée. Nous le faisons pourtant depuis 15 ans mais cela fonctionne très peu. Le sourcing est en train de se résoudre petit à petit puisque les trois leaders du marché s’y mettent.