Pierre Guionin (Gorillas) : “Les Français ont adopté plus vite que prévu nos services”
Par Clotilde Chenevoy | Le | E-commerce
Gorillas a débarqué en France il y a un peu plus d’un an. L’occasion de revenir avec Pierre Guionin, directeur général, sur le développement de l’enseigne qui multiplie les initiatives pour s’imposer sur le nouveau marché du quick commerce.
Gorillas a démarré en France il y a plus d’un an. Où en êtes-vous dans votre développement ?
Nous avons commencé en avril 2021 à Bastille et le contexte était relativement calme car nous étions le 2e acteur après Cajoo (ndlr : racheté par Flink en mai 2022). Depuis, nous avons ouvert 25 magasins à Paris et sa couronne, Lille, Lyon, Bordeaux et Nice et dépassé le million de commandes. On s’est lancé avec le confinement et cela a été un catalyseur de performance. Depuis, nous sommes rentrés dans les habitudes d’achat des clients. Nous constatons une véritable fidélité à la marque. Nous avons depuis pris la place de leader, notamment suite au rachat de Frichti, selon le baromètre Fox Intelligence.
Avez-vous été surpris par la violence de la concurrence ?
Je m’attendais à ce que le marché français soit très concurrentiel parce que c’est un des marchés les plus exigeants, avec une grande maturité de la distribution alimentaire, et aussi avec le plus gros potentiel en termes de volume d’achat. Notre trajectoire d’expansion est très claire et nous avons misé sur une approche très structurée.
Premièrement, nous avons noué des partenariats avec des distributeurs. En octobre 2021, nous avons signé un accord exclusif avec le groupe Casino, et en particulier avec sa filiale Monoprix. Nous avons eu accès à leur catalogue de produits, en plus de pouvoir distribuer de façon exclusive leur MDD, extrêmement plébiscitée les clients. Parallèlement à l’offre, dans une approche long-terme, nous avons noué un partenariat avec le club de foot PSG Paris Saint Germain pour gagner en visibilité. Nous communiquons aussi fortement sur le digital pour nous positionner sur tous les moments de consommation.
Le rachat de Fritchi en mars dernier est aussi un moyen de prendre des parts de marché…
C’est en effet la troisième initiative pour conforter notre position sur le marché français. Nous sommes en plein audit pour savoir comment tirer parti de chacun des assortiments. Notre catalogue, qui propose aujourd’hui environ 2000 références, va être étoffé en ajoutant des plats préparés, de la découpe de produits frais et des recettes préparées grâce à Frichti. Nous l’avons constaté, il y a de la demande pour plus de choix. Si au début les clients nous testent avec des petits paniers autour de 17 euros, les montants augmentent avec la récurrence et ils varient leurs achats. Nous avons même des consommateurs qui nous utilisent le week-end pour faire leur plein, avec des paniers de 150 à 200 euros. La largeur de l’offre est un véritable avantage concurrentiel.
La largeur de l’offre est un véritable avantage concurrentiel.
L’apport de Frichti ne porte pas que sur l’offre…
Nous avons également des synergies opérationnelles à créer, notamment sur le service. Frichti est par exemple déjà présent dans 9 villes de France avec Nantes, Grenoble et Aix-en-Provence où Gorillas n’est pas présent. Il nous apporte aussi de nouvelles briques technologiques.
L’activité de Gorillas France en chiffres
• Plus d’un million de commandes
• 60 % des clients fidèles à Gorillas (3 fois la moyenne de l’industrie)
• Panier supérieur à 25€
• Des commandes majoritairement les weekends et entre 17h et 23h
• 1 panier sur 2 contient des fruits et légumes
• Top 5 des produits les plus commandés : Eau / Avocat / Banane / Lait / Citron
Avez-vous mené des ajustements depuis votre lancement sur votre positionnement ?
Notre offre a beaucoup changé au fur et à mesure des mois. Au départ, elle était assez générique. C’était lié au fait que nous avions peu de data sur la compréhension des besoins du client français. Or, Gorillas, en plus d’être un commerçant et un logisticien, est aussi une société technologique. A travers l’application, nous récupérons des informations sur les attentes de nos clients. Ainsi, le moteur de recherche sert aussi de barre de suggestion de produits. On analyse ces remontées pour affiner notre assortiment. Nous effectuons une rotation évidemment en fonction des saisons, mais nous cherchons aussi à développer des univers de produits auxquels nous n’aurions pas forcément pensé. C’est ce qui s’est passé avec les collections Casher et Hallal.
Quant à la structuration de l’offre, nous avons 60 % à 65 % de produits de marques nationales et MDD, le reste de notre approvisionnement provient de partenaires locaux (maraîchers, boulangers ou artisans du quartier). Nous en nouons au fur et à mesure de notre développement et selon les attentes des clients.
In fine, notre offre est assez courte. Il faut avoir exactement le bon produit pour le client. On ne peut pas se permettre de se tromper sur une référence. D’ailleurs, nous suivons de très près la performance intrinsèque des produits et nous sommes capables de nous adapter extrêmement rapidement, même à la journée.
On évoque une évolution des législations sur les dark stores. Est-ce une menace pour votre business ?
Le sujet fait couler beaucoup d’encre et il y a surtout de la récupération politique. Nous rencontrons régulièrement les mairies pour expliquer notre business model et les conséquences sur le quartier, l’impact sur l’emploi, le référencement de commerçants sur notre plate-forme pour réaliser des ventes additionnelles… Leur accueil est d’ailleurs positif. Mais il est vrai qu’il y a un vrai flou sur ce modèle hybride dans le code du commerce. Il revient aux législateurs de clarifier la situation, quand on voit que d’une ville à l’autre les positionnements ne sont pas du tout les mêmes, avec des PLU différents. Nous sommes persuadés que notre statut de commerçant sera reconnu car nous participons à la vie des quartiers. Et quand un service est plébiscité par les consommateurs, il faut créer autour un environnement positif et vertueux.
Quels sont vos enjeux pour l’année à venir ?
Nous avons un double enjeu. Nous en avons déjà parlé, c’est le rapprochement avec Frichti et la création de synergies au niveau de l’assortiment et de suivre les gains générés. Je suis extrêmement confiant, cela va nous permettre de consolider nos positions.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas rentables, mais c’est un choix car nous sommes en situation de prise de marché et dans une logique d’acquisition de clients.
Le deuxième enjeu porte sur la densification de nos implémentations. Nous avons un plan d’expansion assez agressif cette année pour conquérir de nouveaux territoires et servir de nouveaux clients. Nous avons 25 magasins et nous comptons doubler leur nombre d’ici un an. Nous ne visons pas forcément d’autres villes, l’idée est de maintenir notre qualité de service pour continuer à fidéliser nos clients. Si un magasin est saturé, il faut pouvoir en ouvrir un autre à proximité. Quant à l’expansion sur d’autres villes, nous fonctionnerons par opportunité plus que par conquête. En suivant ces deux enjeux, nous estimons pouvoir conserver notre place de leader d’ici 3 à 4 ans, avec une trajectoire de profitabilité forte.
La rentabilité du modèle quick commerce est une vraie question. Un an après le lancement, où en êtes-vous ?
Aujourd’hui, nous ne sommes pas rentables, mais je précise que c’est un choix car nous sommes en situation de prise de marché et dans une logique d’acquisition de clients. Mais nous avons déjà démontré que nous connaissons la trajectoire de rentabilité. Nous avons des magasins au niveau européen et même au niveau français qui sont rentables. Quand le marché sera plus mature, il sera alors temps de penser profitabilité. Et au vu de la croissance cette dernière année, les fréquences d’achat et l’augmentation du panier moyen, je suis tout à fait confiant sur nos projections. D’autant que le client Français a adopté plus rapidement le quick commerce que d’autres marchés européens.
Certes le covid a été un accélérateur mais cela n’explique pas tout. Les modes de consommation ont profondément changé depuis quelques années déjà, notamment avec l’évolution de la qualité de la livraison de gros acteurs du e-commerce. Ils n’ont pas arrêté d’élever le niveau ces dernières années. A cela s’ajoute la création des plates-formes de livraison de plats préparés. Pouvoir se livrer leurs courses du quotidien avec cette même flexibilité et rapidité s’est naturellement imposé.
Parmi les évolutions des modes de consommation, il y a la RSE. Est-ce que le quick commerce c’est RSE ?
Oui, même si je n’ai pas encore à l’heure actuelle suffisamment de chiffres précis. La grosse valeur ajoutée du quick commerce c’est que l’on livre 100 % de nos commandes via des véhicules électriques. Quand il faut un magasin Gorillas pour couvrir à peu près 150 000 clients potentiels, pour une chaîne de grande distribution alimentaire, il leur faut à peu près 10 ou 15 fois plus de surface. Sur le volet social, nous avons fait le choix d’embaucher nos livreurs en CDI. C’est un poids important en charges, avec des règles de droit du travail qui ne sont pas faciles en termes d’organisation du temps.
300 licenciements chez Gorillas
Le groupe a annoncé le 24 mai le licenciement de 300 personnes et l’abandon de plusieurs marchés européens (en Italie, en Espagne, au Danemark et en Belgique) pour se recentrer sur ses marchés clés. Gorillas réalise 90 % de son chiffre d’affaires avec l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les Etats-Unis. Cette décision a été prise face à la difficulté de levée des fonds actuellement, avec des investisseurs plus frileux. Gorillas entend donc améliorer ses performances et sa rentabilité afin de garder grâce aux yeux des investisseurs. La conquête de ce nouveau marché demande des fonds pour capter la clientèle.
Une perçée du quick commerce en un an
En un an, le quick commerce est devenu un nouveau canal de vente qui a su séduire particulièrement les Parisiens.