Solutions et techno

Logistique urbaine : le pari discret mais ambitieux de l’Atelier Champs-Élysées


Installé en plein cœur de Paris, à deux pas de l’avenue la plus célèbre du monde, ce hub logistique souterrain veut démontrer qu’un autre modèle est possible : plus local, plus propre et mieux intégré. Encore en phase de tests, le site pourrait bien devenir un modèle de logistique urbaine pour les métropoles.

Un entrepôt d’un nouveau genre verra le jour très prochainement. - © D.R.
Un entrepôt d’un nouveau genre verra le jour très prochainement. - © D.R.

Sous la plus belle avenue du monde, à 30 mètres de profondeur, se cache une petite révolution logistique et servicielle. Sur les restes d’un parking souterrain abandonné depuis près de huit ans au moment de son rachat, un entrepôt d’un nouveau genre verra le jour très prochainement. Un projet hors norme, unique aussi et qualifié de (complètement) « fou » par ceux qui le portent, à savoir Mont Thabor et Swiss Life Asset Management, associés à Everest Holding.

Le chantier, qui a débuté en fin d’année 2024, en impose autant qu’il intrigue. Difficile effectivement de s’imaginer que ce parking inutilisé, évidemment invisible en surface, deviendra ce à quoi il est désormais destiné. Difficile de se dire aussi que cela puisse exister. Mais cette cathédrale inversée, baptisée « L’Atelier Logistique », sera bel et bien une réalité. Livré dès la fin d’année 2025 pour une mise en exploitation à l’été 2026, ce site inédit d’une surface de 16 000 m², dont 10 000 m² seront dédiés à l’entreposage et 6 000 m² à des zones dites process, s’étend sur pas moins de neuf niveaux, (très) loin des regards indiscrets. Une aubaine pour les commerçants environnant qui doivent braver un contexte marqué par de (très) fortes contraintes foncières et renforcer la sécurité de leurs stocks en boutique. L’avenue des Champs-Élysées, où les loyers atteignent parfois 15 000 euros le m²/an, cachait donc assez bien son jeu et ses ressources. Elle vient désormais leur apporter une solution de choix à travers ce projet de requalification urbaine.

« L’Atelier Logistique » ne pourra toutefois pas accueillir tout son monde et fera quelques déçus. Les places dans la plus belle avenue du monde sont chères, au sens propre comme au figuré. L’emprise du site, bien qu’importante, reste évidemment insuffisante face aux enjeux de chaque commerçant et enseigne établi le long de la plus belle avenue du monde. La rareté du foncier, à Paris plus particulièrement, reste une réalité et oblige les enseignes à optimiser chaque mètre carré en surface de vente. Le combat sera rude pour accaparer ne serait-ce que quelques mètres carrés du site ; mais cet outil aura au moins le mérite de permettre à certaines enseignes de déporter leurs opérations logistiques hors boutique. Et là est tout l’intérêt stratégique et serviciel du site.

Un exemple parfait de recyclage urbain aux services logistiques de proximité

À l’origine, absolument rien ne prédestinait ce parking désaffecté à devenir un « hôtel » logistique nouvelle génération. Et pour cause, lorsque Mont Thabor met la main dessus en début d’année 2020, le spécialiste de la restructuration de biens immobiliers comptait simplement le réhabiliter. Mais les circonstances en ont décidé autrement. « Le Covid et le confinement sont passés par-là », ironise Stéphane Bittini, président de Mont Thabor.

Ce site est une extension des points de vente, des commerces et non pas un point de stockage tampon d’un entrepôt XL, bien au contraire

« Ce projet de requalification d’un parking en “hôtel” logistique, dans un lieu des plus emblématiques, est évidemment complexe, mais il s’est fait sur fond d’innovations techniques et technologiques », commente Béatrice Guedj, head of research & innovation de Swiss Life Asset Management. Pensé pour répondre aux besoins en stocks des enseignes et commerces aux alentours donc, ce site se présente comme une solution alternative et une base de livraison atypique permettant de desservir, via des moyens totalement décarbonés, son monde (jusqu’au Marais) en à peine cinq à vingt minutes. Une prouesse. « Ce site est une extension des points de vente, des commerces et non pas un point de stockage tampon d’un entrepôt XL, bien au contraire. Nous n’avons jamais eu la prétention de réinventer la logistique, nous avons simplement, pour ce site, voulu repenser le modèle des flux logistiques dans Paris (…) C’est un outil industriel au service de la ville, des commerçants et au profit des habitants », assure Stéphane Bittini.

À plein régime, le site sera en mesure de traiter chaque jour un peu moins d’une trentaine de livraisons, toutes effectuées par des véhicules électriques 12 tonnes. « En termes de flux amonts, le site traitera 300 équivalent-palettes, ce qui équivaut à 7 500 rotations en préacheminement chaque année. En sortie cette fois, le site pourra traiter jusqu’à 600 équivalent-palettes en sortie, soit 90 000 palettes par an avec une capacité de stockage de 1 600 équivalent-palettes », précise Victor Bardon, directeur de la maîtrise d’ouvrage de Swiss Swiss Life Asset Management. Concernant le stockage, une solution 3D intelligente pourrait être déployée au sein du site afin d’optimiser et densifier le stockage des marchandises. « Nous discutons avec plusieurs roboticiens et intégrateurs, confirme Stéphane Bittini. Certains ont développé des solutions qui se prêtent très bien à l’environnement de notre actif, fermé et contraint. Nous arrêterons quoi qu’il arrive notre choix quand nous serons certains qu’il répond aux besoins des utilisateurs. »

Outre cette solution, L’Atelier Logistique verra à coup sûr au moins 12 robots boostés à l’IA être déployés sur son terrain. Certaines de ces solutions autonomes à guidage automatique (AGV), en mesure de cartographier l’espace en temps réel, viendront identifier et saisir les marchandises sur le haillon pour les acheminer dans les profondeurs du site, via les rampes (22 %) inhérentes au lieu. D’autres viendront de leur côté prendre le relai dans ce grand ballet afin d’assurer la gestion des flux verticaux ainsi que l’optimisation des stocks ; tandis qu’une autre partie des flux entrants seront chargées dans deux monte-charges eux aussi pilotés par l’IA avant d’être irrigués dans les niveaux inférieurs du site. Ainsi, les marchandises pourront être déchargées et acheminées en à peine plus de de 20 minutes.

Les livraisons du dernier kilomètre seront assurées via des solutions de mobilité douce, à savoir des véhicules utilitaires légers (VUL) électriques, des vélos-cargos ou pourront même l’être à pied.

Une prouesse technique

Pour appuyer les opérations, orchestrées dans l’ensemble (et très largement) par l’intelligence artificielle, “L’Atelier Logistique“ devrait accueillir une centaine de personnes, dont 19 personnes qui opèreront dans les zones les plus profondes du site. pour un fonctionnement 24h/24 et 7j/7.

La phase de commercialisation, elle, a débuté tout récemment, au Mipim (Marché international des professionnels de l’immobilier). Carrefour, Leclerc et plusieurs logisticiens, séduits par le projet, ont pris des renseignements et approché ses porteurs, tout comme l’ont fait des enseignes de luxe, de cosmétiques, de parfums, de produits pharmaceutiques et des producteurs de café. « Nous avons été approché par bon nombre d’enseignes, mais nous avons décidé d’abord de délivrer l’ensemble des éléments sur l’offre de service avant d’entamer la commercialisation du site », explique Stéphane Bittini, qui a par ailleurs indiqué que les produits alimentaires ne pourront pas être stockés au sein du site pour des « raisons réglementaires ». Dans l’ensemble, les travaux sur site ne sont pas encore totalement achevés, mais ont grandement avancé.

C’est une opération d’envergure et extrêmement complexe compte tenu des spécificités du site

Au regard des particularités du site, les travaux ont évidemment réclamé une attention de tous les instants et des interventions extrêmement complexes qui visaient à limiter les nuisances ; assurer la sécurité des biens et des personnes ; et maintenir en fonctionnement les équipements techniques communs à l’ensemble des occupants. Le projet, « coûteux, puisque les opérations de travaux à elles seules ont nécessité plusieurs dizaines de millions d’euros d’investissement », dixit Stéphane Bittini, a évidemment reçu le soutien de la ville de Paris. Les porteurs du projet n’ont en revanche pas souhaité communiquer sur les tarifs qui seront appliqués. Mais pour une formule complète, allant de la prise en charge des marchandises jusqu’à la livraison à la demande des magasins de la plus belle avenue du monde, sans compter la gestion des flux retours, payer le prix fort vaudra sans doute le coup.

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