Solutions et techno

Comment les enseignes alimentaires s’approprient le Web3

Par Clotilde Chenevoy | Le | Marketing

Les retailers français commencent à déployer des cas d’usages dans le Web3, avec des NFT ou débarquant sur le metavers. Zoom sur les stratégies de la grande distribution, dont le groupe Casino et Carrefour, qui démarrent leurs premières expérimentations.

Carrefour, Leader Price ou Monoprix, chacun teste à sa manière le Web3. - © D.R.
Carrefour, Leader Price ou Monoprix, chacun teste à sa manière le Web3. - © D.R.

Loin des spéculations des NFT (non-fungible token) artistiques, le retail en France observe de très près le potentiel de ces actifs numériques. Rappelons en préambule que les NFT servent de certificat, sont infalsifiables car ils reposent sur la blockchain. Cette technologie permet ainsi le produit et indirectement le propriétaire (Lire notre Guide Retail & NFT). Le secteur du luxe s’est emparé de ce phénomène mais le mass-market bouge aussi à l’instar des enseignes alimentaires. Carrefour et le groupe Casino sont les deux pionniers sur le sujet, les indépendants n’ayant pas dévoilé de projets pour l’heure.

« Le Web3, comprenant le metavers et les NFT, ouvre le champ des possibles et représente une nouvelle manière d’aborder les consommateurs, estime Ferdinand Tormachino, directeur digital du groupe Casino et chief digital officer chez Monoprix. Depuis fin 2021, le metavers est devenu populaire, notamment avec le changement de nom de Facebook pour Meta. C’est une tendance encore non démocratisée mais nous souhaitons la tester. Est-ce qu’il y aura une place pour les retailers dans cet univers avec des transactions ? On ne le sait pas encore mais on va l’apprendre. L’avantage avec le digital c’est qu’on peut être agile et s’engager sans gros investissement. »

Le marché des NFT selon JP Morgan devrait atteindre 300 milliards de dollars d’ici 2030.

Même analyse du côté de Carrefour, qui a déjà acheté un terrain dans le metavers Sandbox et va dans quelques jours mettre en vente ses premiers NFT. « Nous regardons le Web3 au global ce qui inclut la réalité virtuelle, la blockchain, les NFT, les cryptomonnaies ou encore le metavers, détaille Nicolas Safis, directeur innovation du groupe Carrefour. Il y a une forte chance que cela remplace le web2 et nous avons mis en place une vraie démarche d’innovations. »

Quelques chiffres semblent en effet démontrer que le Web3 n’est pas si anecdotique que cela : 9 % des consommateurs possèdent des cryptos et ils ont donc un wallet actif. Par ailleurs, le marché des NFT selon JP Morgan devrait atteindre 300 milliards de dollars d’ici 2030 alors qu’il pèse  41 milliards de dollars en 2021. Le potentiel est impressionnant d’autant que le ROI peut-être très rapide car il s’agit de dupliquer un asset numérique, en plus ou moins d’exemplaires. Des optimisations sont aussi possibles selon le choix de la technologie. Decathlon vient par exemple d’inclure dans la vente de sneakers produit en édition limitée un NFT basé sur Tezos, une blockchain moins onéreuse que Ethereum et avec une empreinte carbone plus faible.

Des compétences et un changement culturel nécessaires

Pour s’emparer du Web3, que l’on parle metavers ou NFT, les retailers font face à la nécessité de trouver de nouvelles compétences. Technologiquement, tout repose sur la blockchain et la création de smart contract. Du côté de Monoprix, la stratégie consiste à aller vite en passant par des prestataires tiers. « Coder en web3 ce sont des compétences que nous n’avons pas, indique Ferdinand Tormachino. Nous verrons dans les prochains mois si nous devons les internaliser. Il faut rester prudent avec les tendances, car elles peuvent mourir vite. Par exemple Pokemon Go, le buzz de l’été 2016, ne s’est pas traduit en une adoption massive de la part des consommateurs d’applications de réalité augmentée. »

Il faut rester prudent avec les tendances, car elles peuvent mourir vite. Par exemple Pokemon Go, le buzz de l’été 2016, ne s’est pas traduit en une adoption massive de la part des consommateurs d’applications de réalité augmentée.

Un travail de fond est aussi en cours pour acculturer les équipes, celles qui portent l’innovation d’abord, puis le personnel au global. « L’innovation éprouve le  potentiel du Web3 mais nous avons la volonté de former toutes les équipes car le sujet va prendre de l’ampleur », assure Nicolas Safis. Et le chief digital officer de Monoprix de souligner que « dans 10 à 20 ans, le taux d’adoption des crypto wallets et des NFT chez les jeunes aura explosé. Il ne faut pas laisser passer ce train culturel. »

Au-delà des aspects techniques et technologiques qu’il faut bien sûr appréhender et la formation du personnel, l’une des questions majeures en matière de NFT c’est quel scénario choisir et comment faire en sorte que les consommateurs suivent les marques. Et sur ce point, plusieurs stratégies sont possibles.

Monoprix : de la culture, du culinaire et de la pédagogie

Le 6 avril, Monoprix a mis en ligne son propre site dédié au NFT avec la mise en vente de deux collections différentes, «  pensées pour refléter la dimension alimentaire et non alimentaire », précise Ferdinand Tomarchino. Une approche aussi adoptée par Printemps avec son magasin virtuel. Pour concevoir ses NFT, Monoprix a noué un partenariat avec le chef pâtissier Yazid Ichemrahen et le designer Vincent Darré. Le premier a créé un gâteau virtuel et le NFT donnera ensuite accès à une autre expérience. Le deuxième a imaginé des œuvres digitales pour l’enseigne.

Monoprix vend un gâteau NFT. Les clients accèderont dans un deuxième temps à une expérience réservée aux porteurs du NFT.. - © Monoprix
Monoprix vend un gâteau NFT. Les clients accèderont dans un deuxième temps à une expérience réservée aux porteurs du NFT.. - © Monoprix

« Nous avons choisi de minter les NFT sur notre propre plate-forme et non une marketplace dédiée afin de les accompagner dans la démarche et de les rassurer quant à l’origine certifiée du NFT, explique le directeur digital. Idem les vendre en ethereum est un choix car c’est la blockchain la plus populaire. Nous n’avons pas fait le choix de la blockchain pour optimiser les gas fees (ndlr : les coûts inhérents à la blockchain). Notre objectif principal est la démocratisation du Web3 pour nos clients. »

Carrefour dans le metavers pour sauver les abeilles

De son côté, Carrefour a adopté un scénario très différent et s’adresse à des utilisateurs plus aguerris sur le sujet. L’enseigne déploie son projet sur un metavers, Sandbox. Elle a en effet acheté 9 parcelles au début de l’année et le projet NFBees en prendra deux. Le « drop », soit la mise en vente, de ses actifs numériques sera fait le 7 mai. Carrefour est en effet dépendant de la mise à jour de Sandbox qui s’effectue plusieurs fois par an. On parle de saisons dans le jargon. 

En achetant des NFBees, les consommateurs font un don pour la sauvegarde des abeilles. - © Carrefour
En achetant des NFBees, les consommateurs font un don pour la sauvegarde des abeilles. - © Carrefour

Les utilisateurs de ce metavers pourront acquérir des œuvres numériques, des abeilles stylisées. On retrouve ainsi l’esprit de Bored Ape Yacht Club qui cartonne sur le Web3. Mais les fonds récoltés seront eux destinés à l’association BeeFund qui s’occupe de la préservation des abeilles. Les prix commenceront à partir de 5 sands, soit environ 15 euros, il sera fonctione du nombre de reproduction du NFBees. Le NFT de l’abeille Sunny Orange diffusé à 10 exemplaires coutera 50 sands, soit 150 euros environ. « Ce partenariat s’inscrit dans les valeurs Act For Food de Carrefour, explique Nicolas Safis. Ce scénario est un bon compromis pour nous entre apprentissage et faible risque. Nous devons rester très humbles avec le Web3 et ne pas arriver avec nos gros sabots. Ubisoft a tenté de vendre des NFT pour des attributs dans le metavers et cela a été très mal perçu. »

Autre divergence dans l’approche par rapport à Monoprix, toutes les informations sont accessibles via la plate-forme de discussions Discord où tout est en anglais. « C’est la langue du Web3, indique Nicolas Safis. Mais nous allons aussi solliciter nos clients via le CRM et des leviers marketing classiques. Tous nos clients ne seront pas concernés par ce projet mais nous sommes forts sur le jeu vidéo, nous pouvons donc attirer les clients de cette catégorie dans le projet. »

Accéder à une nouvelle communauté

En effet, avec le Web3, la notion de communauté est très importante. Nicolas Safis rappelle d’ailleurs qu’avec le metavers, on s’affranchit des géographies car le virtuel n’a pas de limite. Il faut donc penser des cas d’usage de façon globale.

Leader Price a collaboré avec Bem Builders pour concevoir un jeu pour les membres du Club Leader Price. - © Bem Builders
Leader Price a collaboré avec Bem Builders pour concevoir un jeu pour les membres du Club Leader Price. - © Bem Builders

Citons d’ailleurs un dernier projet mené dans l’alimentaire qui joue sur l’aspect communauté : Leader Price qui a créé un jeu vidéo sur Sandbox avec l’agence Ben Builders. L’accès est réservé aux membres du club de l’enseigne. Pas d’achat NFT, la logique est purement récréative. Les consommateurs doivent partir en quête de nourriture afin de gagner des bons d’achats. Mais d’après les propos de Nicolas Joly, directeur général de Casino Immobilier, parus dans divers interviews, le groupe Casino regarde aussi comment créer de la valeur avec ses actifs virtuels au même titre qu’avec ses actifs réels. L’effervescence autour du Web3 n’est pas près de s’arrêter.