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Comment L’Oréal valorise ses données pour booster son business

Par Dalila Bouaziz | Le | Data

La donnée est devenue un levier incontournable dans la transformation du retail, mais savoir l’exploiter efficacement reste un défi. Trop souvent, les entreprises accumulent des insights sans réellement les structurer ni les activer. Chez L’Oréal, l’enjeu est de croiser les données quantitatives et qualitatives pour affiner l’expérience client et maximiser la performance business.

L’Oréal a adopté une vision centrée sur l’ensemble de la journée consommateur.  - © D.R.
L’Oréal a adopté une vision centrée sur l’ensemble de la journée consommateur. - © D.R.

« Aujourd’hui, les clients n’achètent plus seulement des produits, mais aussi des services beauté. Comprendre et optimiser cette expérience est devenu un enjeu clé », explique Nathalie Victoria, Global Customer Experience Director chez L’Oréal lors d’une rencontre chez Haigo (agence de conseil en design et technologie) mercredi 5 février. Grâce aux données et le potentiel d’automatisation des analyses, nous structurons l’expérience client et analysons des éléments auparavant inaccessibles. » Mais comment traduire ces analyses en actions concrètes ? Depuis longtemps, L’Oréal s’appuie sur des études quantitatives et qualitatives mais très axées produit : panels consommateurs, études terrain, tests d’efficacité, Net Promoter Score… La performance des ventes est suivie avec précision pour identifier les tendances et piloter les lancements. Mais ces chiffres, aussi précis soient-ils, ne suffisent pas à décrypter les véritables attentes et irritants des consommateurs d’un point de vue expérientiel.

C’est là que l’approche qualitative structurée prend tout son sens. L’Oréal a renforcé sa capacité à capter des insights plus profonds sur l’expérience des consommateurs. Cette approche permet d’aller au-delà des simples chiffres pour comprendre l’expérience vécue. Exemple avec les outils de diagnostic de peau en ligne qui ont rapidement gagné en popularité mais dont l’efficacité perçue restait floue. Les études qualitatives ont révélé que la personnalisation algorithmique seule ne répondait pas entièrement aux attentes. Les consommatrices ressentaient le besoin d’un échange humain, que ce soit via un beauty advisor ou une expérience complémentaire. Cette analyse a ainsi permis d’ajuster l’expérience en renforçant le rôle des conseillères et en les intégrant plus systématiquement dans les dispositifs digitaux.

La « customer journey » pour unifier les données

Cette approche globale repose sur une structuration plus large des données. Plutôt que d’analyser isolément chaque point de contact, L’Oréal a adopté une vision centrée sur l’ensemble de la journée consommateur. Ce cadre d’analyse permet d’unifier les insights et de les comparer à l’échelle internationale, tout en intégrant les spécificités locales. « La culture du comportement consommateur et de l’expérience utilisateur tout au long de la journée est un sujet plus récent dans l’organisation », pointe la directrice de l’expérience client. C’est là que se pose la question de la structuration des données : comment organiser la journée consommateur à travers un cadre permettant d’exploiter ces informations ? « Par exemple, lorsqu’un pays réalise une étude - prenons le cas du diagnostic de peau en ligne, qui nous intéresse particulièrement - il existe encore peu de données comparables entre les différentes régions. »

Sur ce sujet, L’Oréal a acquis ModiFace, spécialiste du diagnostic de peau en ligne et des essais virtuels de maquillage. Grâce à cette technologie, les consommateurs testent, via une caméra, maquillage et colorations capillaires en temps réel. Mais les études menées sur ces services varient selon les pays : là où la France segmente la journée consommateur en six étapes, la Chine applique une méthodologie différente, rendant les comparaisons complexes. « Résultat : il devient très difficile pour la responsable du service au niveau global de comparer ces données et d’en tirer des insights clairs pour piloter des actions business, analyse Nathalie Victoria. C’est pourquoi nous avons mis en place avec Haigo un cadre structurant pour la journée consommateur. »

Plutôt que d’analyser isolément chaque point de contact, L’Oréal a adopté une vision centrée sur l’ensemble de la journée consommateur.

Ce travail s’appuie sur un concept de « user story », qui consiste à partir du besoin client avant tout. « Jusqu’ici, les études se concentraient principalement sur le  »What«  et le  »How« , répondant aux questions sur ce que font les consommateurs et comment ils le font, sans toujours identifier leur besoin initial, détaille-t-elle. Grâce à cette nouvelle approche, nous pouvons désormais comparer les expériences des consommateurs au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en Chine et identifier des attentes non satisfaites. Par exemple, nous constatons que l’intérêt pour des outils de diagnostic en ligne est un besoin récurrent et stratégique dans plusieurs marchés. Nous identifions des points communs entre les différentes études menées dans plusieurs pays, mais aussi des spécificités propres à chaque marché. »

La structuration de ces études et leur diffusion représentent donc un enjeu majeur. Le fait de les consolider avec un cadre méthodologique commun, par cycles successifs, est une avancée significative, « bien que cela soit encore en cours de mise en place », précise-t-elle.

Le défi du partage d’informations entre les services

Mais le véritable enjeu ne se limite pas à la collecte et à l’analyse des données. Encore faut-il que ces insights soient activables. L’un des freins majeurs dans l’exploitation des études est souvent leur faible résonance en interne. Pour éviter que les données ne restent inexploitables, L’Oréal a mis en place un dispositif qui permet d’associer chaque étude à une finalité business claire.

Ce travail de structuration se traduit aussi par une meilleure articulation entre les équipes. « L’expérience client ne peut plus être un sujet cloisonné : les insights doivent circuler entre le marketing, le CRM, le digital et le retail physique, avance Nathalie Victoria. C’est en créant ces passerelles que les décisions sont prises sur des bases solides, en évitant les biais et en garantissant une meilleure mise en œuvre des recommandations issues des études. » Pour optimiser cette circulation de l’information et faciliter l’accès aux insights, L’Oréal s’appuie aussi sur la technologie.

L’IA comme levier de structuration

« Nous avons une plateforme regroupant toutes nos études, mais son utilisation reste limitée par un archivage manuel. » Aujourd’hui, chaque étude doit être classée par mots-clés, ce qui complique les recherches. « L’enjeu, c’est de remplacer cette logique par une IA capable d’analyser le contenu et d’identifier les documents pertinents, sans dépendre d’un système figé. »

Plutôt que des tags fixes, l’IA fonctionne par association de concepts. Par exemple, une requête sur les « relations entre les gens » pourra faire émerger une étude classée sous « Social », même si le terme exact ne figure pas dans l’archivage initial. « Nous avançons progressivement sur cette problématique. D’ici la fin de l’année, nous devrions disposer d’un outil mieux structuré, plus intuitif, et facilitant les interactions et la recherche d’informations. »