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Comment les retailers s’adaptent face à l’explosion de la seconde main

Par Clotilde Chenevoy | Le | Seconde main

Cet article est référencé dans notre dossier : Economie circulaire : les initiatives des retailers & e-commerçants

La seconde main progresse dans les habitudes de consommation des Français et chez les retailers. Néanmoins, l’équation économique n’est pas simple à résoudre et impose de repenser les business modèles. Illustrations avec les expériences de Vestiaire Collective, Fnac Darty et Petit Bateau.

Comment les retailers s’adaptent face à l’explosion de la seconde main
Comment les retailers s’adaptent face à l’explosion de la seconde main

7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. C’est le poids de la seconde main en France, selon KPMG. Ce marché atteint même 86 milliards à l’échelle européenne. Ce chiffre va encore prendre de l’ampleur dans les années à venir car de nouvelles habitudes de consommation ont été prises. 74 % des cyberacheteurs, dont majoritairement des femmes, déclarent avoir désormais le réflexe d’aller vérifier si le produit n’existe pas en seconde main avant de l’acheter neuf, selon une étude Fevad x KPMG dévoilée lors de Paris Retail Week. Autre chiffre fort, 1 cyberacheteur français sur 2 affirme avoir acheté au moins un produit de seconde main en 2021.

Le prix reste l’argument principal qui incite les consommateurs à acheter d’occasion. - © Fevad x KPMG
Le prix reste l’argument principal qui incite les consommateurs à acheter d’occasion. - © Fevad x KPMG

« On est face à un phénomène majeur, qui représente pour l’e-commerce l’une des innovations les plus marquantes depuis les marketplaces et le m-commerce », a déclaré Marc Lolivier, délégué général de la Fevad, lors d’une conférence sur l’économie circulaire tenue pour Paris Retail Week. Même analyse pour François-Xavier Leroux, partner advisory, customer & digital chez KPMG : « l’économie circulaire devient un pilier essentiel de l’e-commerce. Preuve en est, parmi le top 20 des sites e-commerce, presque tous proposent une offre de seconde main ou sont en train de faire des tests. »

Parmi les marchés les plus matures sur la seconde main selon KPMG, il y a l’automobile, où l’occasion est institutionnalisée. On retrouve ensuite la mode, notamment pour l’enfant et la femme. Le marché du textile d’occasion est estimé à 1,16 milliards d’euros en 2021 en France. Enfin, les produits tech, smartphones, ordinateurs ou tablettes, représentent le troisième secteur mature face à l’occasion.

Les chiffres de la seconde main en France. - © D.R.
Les chiffres de la seconde main en France. - © D.R.

En revanche, si l’appétence client est réelle, l’offre, elle, commence à peine à se structurer. La question de la rentabilité est épineuse… Pour François-Xavier Leroux, « la seconde main est un marché qui peut être profitable si on se pose les bonnes questions. » En effet, l’économie circulaire impose de transformer une partie des activités de l’entreprise, avec un travail important sur la supply chain pour le sourcing, « le cœur du réacteur », la traçabilité des produits, ou encore au niveau marketing. Des champions émergent déjà sur le sujet, avec des chaînes de valeur très différentes. Marketplace, modèle BtoBtoC ou BtoC, chacun déploie son organisation pour tenter de minimiser les coûts et rendre le service pérenne.  

Chez Vestiaire collective, la tech au cœur de la seconde main luxe

Les marketplaces, comme Back Market, Vinted, LebonCoin ou encore Vestiaire Collective ont su en peu de temps conquérir le cœur des Français. Leur approche du sujet est très tech. Lors de la table-ronde organisée sur Paris Retail Week, Bernard Osta, chief strategy officer de Vestiaire Collective, marketplace dédiée aux produits de luxe, a ainsi détaillé que « la technologie est un véritable atout. Nous réalisons systématiquement une authentification digitale des articles vendus. Une authentification physique est réalisée à la demande de l’acheteur. Le produit rejoint alors un de nos cinq centres de la marketplace pour une vérification et repart en moins de 24 heures à l’acheteur. 30 % des produits vendus sur la plate-forme ont une authentification physique et ils représentent 70 % du chiffre d’affaires. » Cette organisation permet ainsi de limiter les coûts tout en assurant une vraie satisfaction client. Et le modèle plaît. Vestiaire Collective réalise un volume affaire d’1 milliard d’euros, dont 60 % est fait en Europe, 30 % aux Etats-Unis et 10 % en Asie, avec un panier moyen est de 350 euros.

Fnac communique en magasin sur son offre occasion. - © Fnac
Fnac communique en magasin sur son offre occasion. - © Fnac

Pour Fnac Darty, la réparation des produits en argument commercial

Ce modèle sans stock et reposant sur la tech n’est pas le seul à exister sur le marché de la seconde main. Fnac Darty a ainsi réussi à industrialiser cette offre en misant sur sa logistique interne et sur ses techniciens réparateurs. Le sourcing est assuré par les retours des ventes en ligne ou encore par les produits ayant eu une panne au déballage ou lors du transport. « Au départ, ces flux étaient traités de façon marginale mais la seconde main a connu une forte accélération pour devenir depuis deux ans une vraie activité à part entière, explique Olivier Theulle, directeur e-commerce et digital chez Fnac Darty. Notre vraie différence est notre capacité de réparation. Nous avons aussi investi fortement dans notre supply chain. In fine, les produits d’occasion représentent 1,5 millions de commandes par an. C’est une partie importante de notre proposition de valeur. »

Pour Fnac Darty, la seconde main demande un investissement dans la réparation, la logistique et la proximité.

Et le groupe compte encore renforcer la vente de produits d’occasion. En ligne, Fnac Darty souhaite étoffer son offre digitale en ouvrant sa marketplace à d’autres faiseurs de produits d’occasion, s’inspirant du modèle Back Market. En revanche, « il faut que le client identifie clairement ce qu’il achète », insiste le directeur e-commerce et digital. Et côté magasins, depuis environ un an, des corners de produits d’occasion ont été installés dans certains magasins. Le retailer souhaite ainsi favoriser une revente locale de ces produits, afin de minimiser les coûts logistiques et l’empreinte carbone de la revente avec un circuit court.

Des marques qui veulent reprendre la main

Après les marketplaces ou les distributeurs, de nombreuses marques, comme le groupe ID Kids (Okaïdi, Obaïbi, Oxybul, Catimini, etc) ou le groupe Eram montrent aussi un regain d’intérêt pour la seconde main. Via des acteurs comme LeBonCoin ou Vinted, elles y sont déjà bien souvent présentes via les consommateurs.

Pour Guillaume Darroussez, la seconde main n’est possible que si le produit initial a été conçu pour durer. - © Petit Bateau
Pour Guillaume Darroussez, la seconde main n’est possible que si le produit initial a été conçu pour durer. - © Petit Bateau

« Cela fait 130 ans que Petit Bateau fait de la seconde main, puisque depuis la création de la marque les produits circulent au sein des familles sans monétisation de la marque », s’amuse Guillaume Darroussez, CEO de l’enseigne de textile. En reprenant la main sur la vente de leurs produits en seconde main, les enseignes ont un enjeu de fidélisation des clients et d’image de marque auprès des clients et également des employés. « Faire de la seconde main doit aussi être dans la culture d’entreprise, estime le dirigeant de Petit Bateau. Je suis poussé tous les jours par mes équipes qui trouvent que nous n’allons pas assez vite sur le sujet. »

Après avoir lancé une application CtoC en 217, Petit Bateau a donné un nouvel élan en 2021 en lançant la collecte de vêtements d’occasion en points de vente. Les clients reçoivent alors un bon d’achat, « valable pour des produits neufs ou d’occasion, nous ne forçons pas à la consommation », pointe le dirigeant. Petit Bateau rapatrie ensuite ces articles sur un entrepôt pour les contrôler, ce qui a nécessité de retravailler sa logistique. Les articles sont ensuite revendus dans des corners en boutique. En 2022, une quinzaine de corner seconde main seront installés.

Petit Bateau mise sur l’omnicanal et la location

Et l’enseigne ne compte pas s’arrêter là. Prochaines étapes, l’enseigne compte développer aussi cette offre à l’international et sur son site e-commerce. Les clients pourront acheter en ligne des articles neufs et d’occasion avec un unique panier et un unique colis. « En 2030, nous pensons que cela représentera 30 % de nos volumes », analyse Guillaume Darroussez.

Par ailleurs, le dirigeant annonce aussi un cran plus loin en pariant sur la location des articles pour « devenir le spotify du vêtement bébé ». La marque s’inscrit dans une logique d’usage des articles et non plus de propriété. Un état d’esprit qui vient transformer la conception des vêtements. « Avant, un t-shirt devait pouvoir vivre 5 vies, à l’avenir, on sera sur 8 à 10 vies, conclut le dirigeant de Petit Bateau. La durabilité des produits est un prérequis clé pour favoriser la seconde main. » 

Les enjeux de la seconde main dans le retail

• Répondre à l’engouement des Français qui ont de plus en plus le réflexe seconde main avant d’acheter neuf
• Utiliser la seconde main comme outil de fidélisation à la marque
• Développer une logistique spécifique pour ce nouveau flux de produits, omnicanal ou non
• Mettre en place un sourcing pour récupérer des produits de seconde main
• Former le réseau à la reprise et au refus d’articles avec la création d’une grille tarifaire