Stratégie retail

[Exclusif] Sephora : « En 50 ans, nous n’avons jamais cessé de nous réinventer »

Par Dalila Bouaziz | Le | Enseignes

Le n° 2 de Sephora, Alexis Rollier, nous a accordé une interview exclusive où il se confie sur les  performances exceptionnelles de l’enseigne de cosmétiques. Beauty tech, IA, innovations… il détaille la stratégie gagnante du leader mondial dans la distribution des produits de beauté.

Alexis Rollier, directeur général des opérations monde de Sephora. - © D.R.
Alexis Rollier, directeur général des opérations monde de Sephora. - © D.R.

Sephora fête ses 50 ans, quelles sont les grandes étapes de sa transformation ?

Alexis Rollier, directeur général des opérations monde. En 50 ans, Sephora n’a jamais cessé de se réinventer et de réinventer son secteur. La première transformation a été son expansion géographique. Sephora est à l’origine une société française créée à Limoges, aujourd’hui présente dans 35 pays, avec un développement en Amérique, puis en Asie, au Moyen-Orient, etc. et ce n’est pas fini. 

Au départ, l’enseigne vendait principalement du parfum, un peu de maquillage et des produits de bain. A présent, nous comptons une offre beaucoup plus large avec de nouvelles catégories de produits.

Ensuite, il y a évidemment la transformation digitale, le lancement de l’e-commerce et son déploiement dans toutes les géographies, avec tous ces nouveaux services évoqués en ligne et en magasin. L’omnicanal permet au client d’acheter n’importe où, n’importe quand, et d’expérimenter vraiment tout et à tout moment de chez lui ou dans le point de vente.

Sephora est à l’origine une société française créée à Limoges, aujourd’hui présente dans 35 pays

Quelles sont vos dernières innovations ?

Nous venons de dévoiler deux outils digitaux qui permettent aux conseillères et conseillers beauté en magasin d’aider nos clientes et clients soit à découvrir de nouveaux produits ou ceux adaptés à leurs besoins. Ces innovations répondent aux attentes de nos clients dans deux domaines très différents : le soin capillaire et le parfum.

Fragrance Discovery, un outil pour trouver son parfum idéal. - © MARIEFLAMENT
Fragrance Discovery, un outil pour trouver son parfum idéal. - © MARIEFLAMENT

Nous avons ainsi lancé « Fragrance Discovery »dans la parfumerie. Accompagné de notre conseiller beauté, le client répond à quelques questions sur les senteurs qu’il  affectionne : agrumes, floral, musc, etc. La machine lui permet de les sentir et de préciser ses goûts. Au bout de quelques minutes, une sélection de parfums correspondant à ses choix olfactifs lui est proposée. Communément, nous testons toujours dans quelques magasins emblématiques (notamment en région parisienne à la Défense et aux Champs-Elysées) nos nouvelles technologies avant de les déployer dans l’ensemble des points de vente en France et en Europe, voire au-delà si le service est concluant. Toutefois, le marché du parfum est très européen, c’est le continent où il est le plus développé et où nous concentrerons nos efforts.

Dans le domaine des produits capillaires, nous proposons « Hair Diagnostic », un diagnostic où le conseiller beauté prend en photo (via une caméra équipée de capteurs branchée sur son smartphone) le cuir chevelu, les mèches et pointes de cheveux de la cliente. En quelques secondes, l’outil pose un diagnostic : cheveux secs, gras, abîmés par le sèche-cheveux, lisseur, etc. et recommande une routine de soin adaptée.

Le Hair Diagnosis est un outil de diagnostic capillaire qui permet aux conseillers beauté de fournir des recommandations sur mesure. - © carolina arantes
Le Hair Diagnosis est un outil de diagnostic capillaire qui permet aux conseillers beauté de fournir des recommandations sur mesure. - © carolina arantes

A chaque fois, la technologie est au service de nos conseillers beauté pour déterminer les besoins spécifiques de chaque client et cliente, à partir de nos savoir-faire et bases de données. Nous pouvons ainsi leur indiquer précisément les produits qui leur conviennent grâce à la combinaison de nos talents - nos vendeurs et vendeuses - et des outils.

La Beauty tech est devenue un segment capital dans votre secteur. Quels sont vos axes de développement ?

Nous sommes en contact permanent avec de nombreuses start-up qui viennent régulièrement nous proposer leurs innovations. Pour certaines, nous les testons et pour d’autres nous sommes en veille. Nous les suivons dans leur développement quand elles sont encore dans des stades assez préliminaires de leur réflexion en les coachant. Et quand on sent qu’une innovation a vraiment un potentiel pour être lancée dans la « vraie vie », soit en magasin ou en ligne, ou les deux, nous commençons par un pilote sur quelques magasins, puis à l’échelle d’un pays et puis généralement à échelle mondiale.

Nous disposons d’équipes d’innovations technologiques dans différentes régions du monde, l’une en France mais aussi à San Francisco pour l’Amérique et deux autres en Asie : Shanghai et Singapour. Nous utilisons ces multiples géographies pour être au courant de toutes les innovations dans le monde, et pas seulement en France ou aux États-Unis. L’innovation vient de partout et en tant qu’acteur global, il est important d’avoir une vue globale.

L’innovation vient de partout et en tant qu’acteur global, il est important d’avoir une vue globale.

L’IA est-elle devenue indispensable dans la relation client ?

Pas forcément. En revanche, elle est une aide précieuse dans l’amélioration de la personnalisation et l’excellence opérationnelle. Par exemple, dans la supply chain, nous utilisons beaucoup l’IA et différents algorithmes dans les prévisions et allocations de produits. L’objectif est de prévoir au mieux les tendances : acheter suffisamment tôt les produits, dans les bonnes quantités et les mettre au bon endroit… Pour cela, les dernières technologies et l’intelligence artificielle sont appliquées sur tous nos outils de supply chain, logistique, les plannings, etc. Une aide indispensable.

Concernant la partie CRM et fidélisation, nous l’utilisons pour adapter notre offre aux clientes de façon personnalisée et unique : les messages que nous leur envoyons, les pages web qu’elles vont pouvoir regarder en priorité… afin d’être encore plus fins dans notre connaissance des clientes de leurs goûts, leurs tendances et proposer ainsi la meilleure sélection de produits ou de services.

Travaillez-vous sur l’IA générative ? Par exemple, dans le digital, l’usage pour les fiches produits intéresse beaucoup les retailers. Est-ce que vous réfléchissez à d’autres cas d’usage ?

Oui. D’ailleurs, nous travaillons beaucoup avec nos marques, nos partenaires. Les fiches produits émanent de nos marques, donc on a beaucoup d’échanges pour mettre à disposition de nos clients les informations sur les ingrédients des produits et aller toujours plus loin dans la transparence. C’est très important et nous disposons d’un réseau de partenaires technologiques qui nous aide sur des pilotes, en mode test and learn, sur ChatGPT.

Vous avez également un chatbot sur vos sites depuis plusieurs années, est-ce que vous pensez à un usage d’assistant dans le conseil pour le maquillage ou autres catégories ?

Cela est envisageable. Nous voyons ChatGPT et d’autres technologies comme des moyens d’améliorer encore ce chatbot. Mais rien ne remplace l’interaction humaine. Nous sommes une marque et une industrie qui se basent sur le contact humain, la connexion avec le produit, la découverte, l’échange personnalisé avec la cliente… 

Quel est le rôle aujourd’hui des conseillères en magasin ?

Les conseillères et conseillers ont une multitude de rôles. Nos équipes sont d’abord évidemment là pour accueillir nos clientes et clients. Nos magasins jouent un rôle majeur dans l’expérience Sephora. Ils accompagnent les clients, les guident et orientent dans les différents univers. Ensuite, l’enjeu est de répondre à leurs besoins et c’est là que la technologie intervient. Aller plus loin au-delà de ce qu’elles disent grâce à la technologie, en utilisant tous les outils de scan de la peau, des cheveux… pour pouvoir les guider au mieux et puis, évidemment, les aider dans la transaction finale, l’acte d’achat, le paiement, l’après-vente, l’inscription à nos programmes de fidélité.

Nos conseillers beauté sont des conseillers avant d’être des vendeurs, ils sont là pour aider nos clients et leur faire passer le meilleur moment possible en magasin. Nous avons beaucoup de clients qui ne viennent pas forcément pour acheter, mais pour découvrir les produits, les marques, les tendances beauté, individuellement ou entre amis. Le point de vente est un lieu d’expérience, pour passer un bon moment, se faire plaisir… Même si les consommatrices n’achètent pas immédiatement, elles le feront à la prochaine visite.

Les magasins deviennent de plus en plus digitalisés, comme pour Sephora. Comment les voyez-vous aujourd’hui ?

On aurait pu penser, pendant le Covid, que les magasins étaient devenus un modèle obsolète. Mais pour depuis toutes les réouvertures et dans tous les pays, nous avons observé un engouement incroyable, une remontée du trafic dans nos magasins au-delà même de nos espérances, et bien supérieur à l’avant Covid.

Les magasins jouent un rôle absolument indispensable, particulièrement dans l’univers de la beauté.

Les magasins jouent un rôle absolument indispensable, particulièrement dans l’univers de la beauté. Pour découvrir les produits, les tendances, pouvoir toucher, essayer et partager entre amis, il n’y a rien de tel que le magasin. Encore une fois nos conseillers et conseillères beauté sont là pour enrichir cette expérience dans le magasin. Le point de vente est un lieu d’expérience, pour passer un bon moment, se faire plaisir… L’acte d’achat peut intervenir avant ou après en ligne, je dirais que c’est plus une conséquence. De nombreux « pure players » de l’e-commerce se mettent à ouvrir des magasins parce qu’ils se rendent bien compte que la seule expérience digitale ne suffit pas dans notre industrie.

Quels sont vos enjeux de transformation ?

« Nous laissons chaque pays, chaque région la possibilité d’innover, de développer localement, régionalement. » - © D.R.
« Nous laissons chaque pays, chaque région la possibilité d’innover, de développer localement, régionalement. » - © D.R.

Nous avons un enjeu permanent dans l’univers de la beauté de rester pionnier dans les tendances produits. Cela fait partie de l’ADN de Sephora d’être le leader dans la détection des nouvelles marques et des nouvelles tendances de la beauté, avec le lancement de petites marques qui grandissent. C’est un élément majeur. Nos clientes viennent en magasin ou sur notre site pour découvrir de nouveaux produits. Nous devons toujours être bien au fait de l’évolution des tendances mais aussi des attentes des clientes sur les typologies de produits et les services : par exemple la naturalité, le bien-être…

Nous développons en permanence des nouveaux services comme dans le domaine capillaire, un secteur où nous n’étions quasiment pas présents il y a cinq ans. C’est un énorme marché, où les attentes de nos clients sont très importantes. Nous nous sommes lancés dans ce domaine avec une offre produit et maintenant avec des services que nous enrichissons au fur et à mesure.

Quels sont ces services ?

Nous proposons un premier niveau de coiffure dans certains pays, avec par exemple des outils pour lisser ou boucler les cheveux. Ce sont  des tests isolés, mais nous n’allons pas jusqu’à l’ouverture de salon de coiffure. De la même façon que nous offrons des prestations de maquillage ou de soins de la peau, nous le faisons pour les cheveux. Si les expérimentations sont concluantes, nous envisagerons de le déployer à plus grande échelle. La contrainte pour nous reste l’espace dans nos magasins, nous ne pouvons pas tout faire. Nous effectuons des choix en termes d’assortiments de produits et de types de services.

Ces nouveaux business sont-ils un vrai levier de croissance pour vous ?

Les services sont clairement un levier de croissance et d’engagement de nos consommatrices. Plus on va connaître la cliente, plus on va lui apporter de connaissances sur ses propres besoins et avoir ainsi une relation forte de proximité. Elle sera donc plus fidèle à Sephora.

On parle beaucoup de retail media, est-ce que vous allez vous lancer ?

C’est une opportunité que nous regardons.

Comment chaque pays où vous êtes présent se nourrit des autres pour avancer sur des problématiques communes : la personnalisation, la digitalisation… ?

Notre présence globale est vraiment un énorme avantage. Et ensuite, nous avons des forums de partage de bonnes pratiques. Très régulièrement, on prend une bonne idée dans une région et on la déploie dans les autres.

Par exemple, aux États-Unis, nous avons une solution d’analyse de la peau pour sélectionner la bonne teinte de fond de teint. On scanne la peau de la cliente et le terminal propose les meilleurs fonds de teint du marché adaptés à sa peau. Cette solution a été lancée aux États-Unis puis au Canada et nous sommes en train d’étudier un déploiement progressif de cette innovation dans d’autres marchés. Le marché du fond de teint est mondial, et toutes les clientes rencontrent des difficultés à choisir la teinte parfaite.

Les ventes en ligne sont-elles toujours aussi fortes que pendant le Covid ?

Comme la plupart des acteurs au moment de la réouverture des magasins, les ventes en ligne se sont logiquement stabilisées mais n’ont pas décliné. Depuis plus de dix mois, elles sont reparties en forte croissance, comme les ventes en magasin.

Les chiffres clés de Sephora

• 35 pays
• 2 700 magasins
• 46 000 collaborateurs
• 150 millions de membres du programme de fidélité Sephora dans le monde, dont près de la moitié sont très actifs
• 300 marques distribuées
• Comité de direction totalement mixte (4 femmes & 4 hommes)

Vous expérimentez depuis quelques mois le vrac avec notamment les recharges de parfum. Ces initiatives vont-elles se multiplier ?

Nous y travaillons, c’est un sujet important mais complexe. Il faut à la fois s’assurer que l’expérience client reste fluide, trouver l’espace en magasin et faire en sorte que cela fonctionne. Dans ce domaine, certaines marques sont plus avancées que d’autres donc cela ne dépend pas seulement de notre enseigne. Nous avons également créé des groupes de travail sur ce sujet. Il est trop tôt pour en parler mais les expérimentations vont se poursuivre.

Vous êtes lancé dans la parapharmacie dans votre boutique de Saint-Germain-des-Prés et également en ligne, où en êtes-vous ?

Il s’agit d’un test et n’avons pas de conclusion pour le moment. Nous testons la parapharmacie dans quelques magasins et pays. Il y a une attente client mais nous ne voulons pas nous substituer à d’autres distributeurs ni descendre dans du mass market. Nous sommes un acteur de la beauté prestige et nous tenons à maintenir ce positionnement. L’offre n’est pas immense, donc nous essayons de voir si elle est suffisamment riche pour un axe différenciant pour nos clients.