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Delphine Lebas (Petit Bateau) : « Rendre accessible la RSE pour qu’elle structure tous nos métiers »

Par Clotilde Chenevoy | Le | Communication

Delphine Lebas a pris la tête en novembre 2021 du nouveau département RSE de Petit Bateau, directement rattaché au comité de direction. Organisation, location, abonnement, la directrice nous détaille la méthode mise en place pour propulser la RSE dans le quotidien de tous.

Delphine Lebas est directrice RSE de Petit Bateau. - © Petit Bateau
Delphine Lebas est directrice RSE de Petit Bateau. - © Petit Bateau

Pourquoi avoir créé une division RSE au sein de Petit Bateau ?

Petit Bateau appartient au groupe Rocher, qui a été la première entreprise internationale à se déclarer entreprise à mission suite à la Loi Pacte en 2019. Bris Rocher, notre dirigeant, a d’ailleurs été missionné par Bruno Le Maire pour rédiger un rapport sur ce nouveau statut. Tout le groupe est aussi engagé dans une certification B Corp, attendue à l’horizon 2025. L’objectif n’est pas d’être la meilleure entreprise du monde, mais la meilleure entreprise pour le monde.

Petit Bateau a adopté une nouvelle signature : liberté, qualité, durabilité. - © Petit Bateau
Petit Bateau a adopté une nouvelle signature : liberté, qualité, durabilité. - © Petit Bateau

Petit Bateau s’inscrit dans cette démarche mais la RSE fait partie de l’ADN de l’entreprise depuis sa création. Quand on parle d’engagement environnemental, social ou de développement durable, la première chose c’est de regarder son produit. Nos vêtements, depuis la création de la marque il y a 130 ans, ont dans leur ADN la durabilité. D’ailleurs, lors de la refonte de notre plate-forme de marque, nous avons adopté comme signature liberté, qualité, durabilité. Avec la création de département RSE, notre président a souhaité accélérer notre transformation. La responsabilité RSE était attribuée auparavant à notre directeur des ressources humaines Thomas Bucaille, qui a fait un travail remarquable. Mais le souhait était adresser tous ces sujets dans un département à part entière et qu’il soit rattaché au comité de direction.

Combien de personnes sont dédiées à la RSE ?

Trois personnes travaillent dans mon équipe. L’une est chargée de tous les nouveaux services qu’on va appeler économie circulaire. Cela inclut la seconde main, la location, l’abonnement, la réparation, les garanties… Une seconde personne chapeaute tout ce qui touche au développement durable et aux produits. Elle gère donc tous les sujets de matières écoresponsables, l’éco-conception, l’affichage environnemental, l’impact carbone ou encore la traçabilité. Enfin, la troisième personne travaille autour de la marque et de nos engagements et mécénats. Nous accompagnons par exemple l’association Water Family qui sensibilise les enfants aux enjeux de l’eau. Par ailleurs, on s’interface également avec le groupe Rocher afin de suivre les sujets sur lesquels ils souhaitent s’investir.

 Comment le département RSE collabore avec les autres équipes ?

Notre département ne doit pas s’additionner aux autres et concentrer toute l’expertise, il doit infuser tous les autres sur le sujet.

Ce sujet-là est majeur car nous devons entrer dans le quotidien de chacun. Mon objectif ultime est d’ailleurs que l’on puisse fermer notre département dans 5 ans, car tout le monde se sera emparé des sujets RSE ! Chacune des personnes de mon équipe est devenue l’interlocuteur privilégié sur les sujets qu’elles portent. Elles accompagnent les patrons de département dans la réalisation de leur feuille de route, notamment pour s’assurer que la RSE n’est pas oubliée. Notre département ne doit pas s’additionner aux autres et concentrer toute l’expertise, il doit infuser tous les autres sur le sujet.

Par exemple, concernant l’éco-conception, on en parle beaucoup aujourd’hui dans les produits. Mais cela touche d’autres départements comme la création des magasins ou encore les shooting photos. La difficulté réside dans le fait qu’aujourd’hui ces mots ne sont pas normés. Il faut d’abord créer un référentiel en se posant des questions sur qu’est-ce qu’un shooting éco-responsable, qu’est-ce qu’un magasin durable. C’est tout le travail que nous allons mener dans les mois à venir. Et nous allons pousser la réflexion plus loin également sur les enjeux climatiques, ceux de la filière textile et ceux de Petit Bateau. Une de mes missions consiste à former, éveiller et susciter une émotion pour passer en mode action. Les gens ne feront les choses que si elles ont du sens pour eux.

Vous êtes en cours de certification B Corp. Est-ce le graal ?

B Corp c’est une boussole. Sur chacun des métiers, il y a un référentiel qui a été conçu notamment en intégrant les objectifs de développement durable de l’ONU. La certification nous pose des questions très pratiques sur chacun des départements, sur les actions entreprises. Elle nous aide à avancer à tous les niveaux de l’entreprise.

Vous parlez de boussole avec B Corp mais quels sont vos indicateurs de performance ? Comment priorisez-vous les sujets ?

People, Profit, Planet c’est un triptyque à valider pour qu’un projet RSE soit pertinent. 

Nous le faisons de manière à la fois intuitive et logique. Nous commençons par le produit car dans le textile, on sait qu’il a le plus d’impact que cela soit au niveau des ressources ou de l’empreinte carbone. Nous avons ainsi investi lourdement dans les outils industriels, notamment à Troyes. Nous disposons désormais d’une machine d’impression numérique ou encore de solutions pour digitaliser tous nos échantillons. L’ensemble de nos investissements, le changement de nos process nous permettent aujourd’hui de reproduire en cours de saison et ainsi de produire au plus juste.

Petit Bateau a crée des cornes seconde main. - © Petit Bateau
Petit Bateau a crée des cornes seconde main. - © Petit Bateau

Mais pour tout projet, il faut tenir compte de trois critères : qu’est ce que cela donne pour mes clients ou les parties prenantes, quel est l’impact sur mon équation financière et quels gains pour la planète. People, Profit, Planet c’est un triptyque à valider pour qu’un projet RSE soit pertinent.  En revanche, ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore d’outils de mesure précis qu’il ne faut pas avancer. On sait tous déjà que le coton issu de l’agriculture biologique est plus vertueux que le coton conventionnel. Il faut y aller étape par étape, tout n’a pas à être tout de suite parfait. Et si on aborde le sujet de la communication, elle doit impérativement se faire sur base de preuves. Le client ne pardonnera pas une prise de parole environnementale avec un propos approximatif ou non justifié.

Maisons du Monde a décidé de créer son propre label « Good is beautiful » pour simplifier aux yeux des clients l’identification des produits responsables. Est-ce qu’il y a trop de labels et certifications selon vous ?

Je ne sais pas s’il y a un intérêt à multiplier les labels, mieux vaut en choisir peu mais bien les expliquer. Il est vrai que la perception par les clients n’est pas évidente et ils sont parfois perdus. Est-ce qu’utiliser des matières issues de l’agriculture biologique est plus respectueux de l’environnement ou pour ma peau ? Et si je dis bio, est-ce que cela inclut la qualité ? Il existe différentes longueurs de fibres, de fils et de qualité, je peux très bien avoir un produit confectionné à partir de coton issus de l’agriculture biologique mais qui ne dure pas dans le temps. D’où la nécessité d’avoir des référentiels car d’un groupe à l’autre, il y a des écarts avec les mêmes mots, le niveau de maturité et les engagements divergent.

Si on passe sur des projets concrets, vous venez d’ouvrir des espaces de seconde main. Pourquoi ce projet ?

On arrive à une deuxième étape de la seconde main chez Petit Bateau, car nous proposions déjà une solution d’échanges entre clients depuis 2017. Nous étions assez précurseurs, mais cinq plus tard, nous constatons que le marché et les attentes des clients ont changé. Nous avons mesuré l’impact de ce service et vérifié que le modèle d’affaires soit plus vertueux. Après cette validation, nous avons examiné nos flux car notre supply chain comme notre informatique ne sont pas initialement opérationnels pour ce type de business.

Notre premier test a démarré pendant le premier confinement avec quelques magasins et un prestataire. Les résultats n’étaient pas forcément fiables avec les ouvertures et fermetures des points de vente. Mais nous avons la conviction que la seconde main est un enjeu majeur pour la transformation du textile de demain. C’est donc devenu un sujet stratégique chez Petit Bateau et nous avons décidé d’y aller par nous-mêmes. Le 28 mai 2021, nous avons déclaré que 100 % de nos magasins en France collecteront des vêtements de seconde main, peu importe l’état. Fin décembre, 100 000 pièces ont été récoltées, ce fut une belle surprise.

Les implantations de seconde main de Petit Bateau. - © Petit Bateau
Les implantations de seconde main de Petit Bateau. - © Petit Bateau

Quelles sont les étapes de la collecte à la vente ?

Quand le client dépose en magasin ses vêtements, en fonction de l’état des produits et de notre grille tarifaire, nous lui remettons un bon d’achat, utilisable sur le neuf ou la seconde main. Nous avons créé un référentiel pour expliquer au magasin ce qu’est un article en très bon état ou en bon état, etc. Il a aussi été nécessaire de former les équipes pour savoir comment discuter avec le client et lui expliquer le niveau de la reprise. 

Un tri est ensuite fait entre les articles à recycler et ceux revendables. Pour ces dernières pièces, il y a tout un tas d’étapes intermédiaires qui sont d’ordre juridique et réglementaire. C’était une certaine complexité au départ, notamment parce que cette législation date d’un autre temps ! On s’est d’ailleurs fait accompagner par une start-up, Freepry, pour nous aider. Les vêtements sont ensuite renvoyés dans les 6 magasins Petit Bateau qui proposent des corners de vêtements de seconde main.

Quand ils arrivent dans ces magasins, il y a un contrôle qualité avec 16 points à vérifier car Petit Bateau engage sa responsabilité de marque sur ces articles. Ils sont nettoyés avec de la vapeur d’eau un par un pour garantir l’hygiène du produit. Nous sommes encore en phase de test sur le service pour identifier quels articles les clients vont chercher mais nous allons continuer à développer des espaces progressivement dans notre réseau. On regarde aussi des opportunités de magasins éphémères.

Vous ne craignez pas que la seconde main vienne cannibaliser le neuf ?

Nous menons actuellement des études sur le sujet et nous modélisons des scénarios selon les achats des clients. Le service devra être rentable à terme. Mais à un moment donné, si le client qui veut de la seconde main ne la trouve pas chez Petit Bateau, il ira l’acheter ailleurs. La question est : comment adresser ce business au global et l’inscrire comme une nouvelle composante. L’équation ne se pose pas que d’un point de vue financier, car avec la seconde main vous proposez une offre de produits Petit Bateau à un prix inférieur qui permet potentiellement d’aller chercher une autre clientèle.

Comment avez-vous fixé le prix des reprises ?

Quelle grille de reprise pour quelle grille de revente est un sujet toujours en réflexion parce que le système est très sensible. Il faut que le client soit content de déposer ses vêtements donc il faut être assez généreux. Mais il faut aussi que le prix de revente reste accessible. Nous avons des coûts qui s’ajoutent. On ne se compare d’ailleurs pas avec les plateformes de revente, parce qu’on ne propose pas le même service et nous garantissons la qualité des articles de seconde main. Demain, notre enjeu consistera à pouvoir proposer en ligne ces produits et que le client puisse faire des achats mixtes entre neuf et occasion. Le défi est de taille et impose de repenser toute la chaîne de valeur.

Vous comptez également démarrer en 2022 une offre de location ?

Nous voulons devenir le service de streaming des vêtements bébé.

Au même titre que les gens ont abandonné les CD et DVD au profit du streaming, nous voulons devenir le streaming des vêtements bébé. On considère que jusqu’à ses 12 mois, un enfant aura changé 6 fois de taille, portant très peu de pièces dans sa garde-robe. Nous comptons proposer des box bébés avec un vestiaire complet pour 3 mois sous forme de location ou d’abonnement. Au-delà du quotidien, ces box peuvent aussi avoir un intérêt si vous partez en vacances au soleil en plein hiver. Le plus compliqué avec ce service c’est la partie logistique et c’est pour cela que nous passons par un prestataire.

Les box contiendront-elles de la seconde main ?

C’est une bonne question. Peut-être. Quand vous allez à l’hôtel, vous louez des draps et vous ne vous posez même pas la question de savoir s’ils sont neufs. Le tout est de garantir aux clients que ses articles seront en excellent état. Nous allons mener des tests car il existe encore peu de cas d’usage sur la location. Les gens se cherchent sur l’économie de la fonctionnalité. Il faut valider que le service et nos offres cochent bien les 3 P. Il faut faire attention à l’effet rebond qu’on a pu avoir avec le ship-from-store. Jusqu’à combien de colis je suis prêt à aller pour servir mon client ?  

Avez-vous d’autres projets à venir ?

Nous allons également nous pencher sur un service de réparation des vêtements, avec des patchs ou des changements de fermeture éclairs. L’idée consiste à favoriser la circularité de nos produits. Nous avons expérimenté ce service en 2021, mais nous travaillons à la définition du cahier des charges pour aller plus loin sur le sujet.