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IA générative : les premiers pas de Showroomprivé dans la création de visuels

Par Dalila Bouaziz | Le | Marketplace

Face aux défis croissants de la production de contenus visuels, Showroomprivé amorce une transformation stratégique avec l’intelligence artificielle générative En collaboration avec Veeton, start-up spécialisée dans la création d’images hyperréalistes, l’e-commerçant vise à révolutionner sa chaîne de production visuelle.

Showroomprivé travaille via des datasets représentatifs pour éliminer les biais visuels ou culturels - © D.R.
Showroomprivé travaille via des datasets représentatifs pour éliminer les biais visuels ou culturels - © D.R.

Depuis 18 ans, Showroomprivé produit des visuels notamment dans le prêt-à-porter et la mode, avec des studios photos dédiés. Mais le secteur évolue face à la massification. « Nous faisons face à un double défi : produire des contenus de qualité en très grande quantité, tout en rationalisant les ressources disponibles », explique Arnaud Le Roux, Chief Innovation Officer chez Showroomprivé. Avec des règles de plus en plus strictes imposées par les plateformes comme Google ou les marketplaces internationales, le besoin de visuels précis, variés et photoréalistes n’a jamais été aussi élevé. « Nous évoluons dans un environnement complexe où produire davantage de contenus ne peut pas se faire avec des ressources humaines illimitées. Automatiser tout en maintenant un rendu hyper réaliste est devenu une priorité », poursuit-il. Pour relever ces défis, Showroomprivé a cherché une solution innovante, capable de conjuguer automatisation et qualité visuelle.

C’est là que Veeton est entré en jeu. Fondée par trois anciens élèves de Polytechnique et HEC, la jeune pousse utilise ses modèles propriétaires pour créer des shootings photo à grande échelle à partir d’un simple visuel à plat d’un vêtement. Cette technologie répond à un besoin pressant du secteur : produire rapidement des visuels variés et réalistes pour séduire des consommateurs toujours plus exigeants.

Nourrir les modèles en images

Cette collaboration repose sur leurs complémentarités. « Nous cherchions un acteur capable de produire des visuels ultra-réalistes tout en répondant aux exigences éthiques et légales que nous nous imposons », souligne Arnaud Le Roux. Veeton apporte son expertise en matière de création d’images réalistes : mannequins virtuels, fonds générés par IA, et contextualisation ultra-précise des produits. « Nous apportons notre expertise en génération d’images photoréalistes, tandis que Showroomprivé nous offre une base de données exceptionnelle, avec plus d’un million d’images de très haute qualité. Cela nous permet de nourrir nos modèles et de développer des solutions hyper spécialisées », détaille Flore Lestrade, co-fondatrice et CEO de la start-up.

Cette synergie a permis de débuter des travaux ambitieux, axés sur des solutions telles que le Virtual Try-On, technologie permettant d’essayer virtuellement des vêtements, et la création automatisée d’images portées. « Nous avons déjà obtenu de bons résultats sur certaines catégories, comme les hauts, puis les bas, et ensuite les robes. Plus nous pourrons diversifier les catégories, plus nous pourrons atteindre ce qu’on appelle un shooting complet, intégrant les robes, les bas, les accessoires et les chaussures, complète la CEO. C’est indispensable pour digitaliser complètement un processus de shooting. »

Une data de qualité, un élément clé, pour des modèles performants

Une fois que la technologie est suffisamment mature et que les résultats sont performants, les premiers axes de travail se sont concentrés sur trois priorités majeures. Tout d’abord, Showroomprivé et Veeton ont collaboré pour enrichir les algorithmes propriétaires de Veeton avec des données visuelles exclusives, permettant une reproduction fidèle des produits, incluant leurs textures et spécificités. « Nourrir un acteur comme Showroomprivé en contenu visuel nécessite de gérer un flux massif d’images, explique Flore Lestrade. Ce n’est pas une question de quelques centaines de références par mois, mais de dizaines de milliers. Une fois cette étape maîtrisée, nous serons en mesure de gérer des volumes importants et variés. »

Ensuite, un processus automatisé de production visuelle a été mis en place, intégré directement aux workflows internes de Showroomprivé, en s’appuyant notamment sur des outils tels que le PIM (Product Information Management) et le DAM (Digital Asset Management).

Nous avons donc collaboré avec des juristes pour établir des bases solides et éviter tout risque légal.

Enfin, les deux entreprises ont veillé à garantir la diversité et l’inclusivité dans leurs contenus en s’appuyant sur des datasets représentatifs, afin d’éliminer tout biais visuel ou culturel. « Le cadre législatif autour de l’IA est encore flou. Nous avons donc collaboré avec des juristes pour établir des bases solides et éviter tout risque légal », pointe Arnaud Le Roux. Showroomprivé a impliqué ses équipes métiers, notamment les photographes et stylistes, pour co-construire des outils adaptés aux besoins de chacun. « Ces outils ne remplacent pas nos équipes humaines, mais les accompagnent pour gagner en efficacité et en créativité », précise-t-il. Ces experts peuvent évaluer la qualité des photos et juger si les outils proposés répondent à leurs attentes.

Une approche rigoureuse pour relever les défis éthiques et juridiques

Showroomprivé et Veeton ont également dû répondre à des questions fondamentales liées à l’éthique et à la légalité de l’utilisation de l’IA. La création d’une charte éthique constitue une étape clé dans ce processus pour Showroomprivé. « Nous voulions nous assurer que tout ce que nous faisons est en conformité avec nos valeurs et les exigences légales, précise le directeur de l’innovation. Nous souhaitions que cette charte soit élaborée avec une conscience aiguë de ce que nous voulons accomplir à l’avenir et de ce que nous refusons de faire. » Cette charte, élaborée en collaboration avec des juristes et les équipes internes, garantit que l’IA est utilisée de manière responsable, en évitant toute forme de discrimination ou de biais. Ce travail sur la représentativité des données est fondamental pour garantir des contenus éthiques.

« Nous avons pris le temps de vérifier que nos données soient représentatives, sans biais, pour garantir des visuels éthiques et diversifiés. C’est une démarche longue mais indispensable. »

Elle est actuellement en relecture juridique et sera diffusée aux collaborateurs avant la fin de l’année.

Les enjeux juridiques sont tout aussi complexes. L’introduction d’images générées par IA soulève des interrogations sur les droits d’auteur, notamment en ce qui concerne les visuels partagés sur des plateformes tierces. La collaboration avec des cabinets d’avocats spécialisés a permis d’établir un cadre clair, assurant que chaque étape de la production respecte les normes légales en vigueur.

Les premières réalisations et résultats prometteurs

Si l’IA générative représente une promesse de révolution dans la production de contenus, son intégration dans un secteur aussi exigeant que la mode pose de nombreux défis. Flore Lestrade souligne que « le principal enjeu est la fidélité au détail ». Reproduire des textures complexes, comme des broderies ou des mailles, reste un défi pour les modèles d’IA les plus avancés, entraînant des imperfections ou des incohérences visuelles. La gestion des effets de lumière et d’ombres ajoute une complexité supplémentaire. « Reproduire cette maîtrise de manière automatisée, en tenant compte des spécificités de chaque vêtement et de chaque contexte visuel, reste un travail titanesque pour les algorithmes », analyse-t-elle.

Enfin, la représentation des morphologies humaines ajoute une couche de complexité supplémentaire. L’IA doit non seulement comprendre comment un vêtement s’adapte à différentes silhouettes, mais aussi anticiper les mouvements et les interactions entre le tissu et le corps. Par exemple, un pantalon ou une robe doivent être visualisés de manière réaliste sur des mannequins de tailles et de morphologies variées, sans aucune distorsion ni approximation. « Grâce à l’IA, nous pouvons représenter des vêtements sur différents types de corps et de peaux à partir d’un seul échantillon. Cela démocratise une inclusivité qui était auparavant hors de portée », ajoute Arnaud Le Roux.

Un impact concret, mais une scalabilité encore en cours

Depuis le début de l’année, Showroomprivé a produit entre 20 000 et 25 000 contenus générés par sa propre IA, capable de retoucher et de contextualiser des produits. Mais avec Veeton, Arnaud Le Roux ambitionne d’aller beaucoup plus loin avec une qualité de visuels générés qui dépasse largement les standards actuels. « Notre objectif est d’atteindre un rendu 100 fois plus abouti que ce que nous produisons aujourd’hui », souligne-t-il. Les deux entreprises travaillent encore à perfectionner leurs modèles, notamment pour garantir une qualité constante sur des volumes massifs.

Le cas de Fjork Merino, une marque ayant collaboré avec Veeton, illustre les gains possibles. « Nos images ont permis de doubler le taux de conversion (+100 %) par rapport aux photos classiques sur la plateforme de Decathlon, indique Flore Lestrade. Cela montre l’impact direct d’une visualisation réaliste sur les ventes. » Autre exemple avec Carrefour. « Nous avons collaboré en mars dernier pour transformer des photos produits en photos portées. À l’époque, nous n’avions pas encore développé les fonctionnalités de génération de visages, mais les résultats étaient déjà prometteurs. Nous avons observé de meilleurs taux de clics et une diminution des taux de rebond. »

Les coûts de production sont aussi drastiquement réduits. Là où un shooting photo classique mobilise plusieurs jours, les visuels générés par Veeton ne nécessitent qu’une à deux heures pour des centaines de références. Cependant, comme le souligne Flore Lestrade, la véritable ambition est de reproduire ces résultats de manière systématique, même lorsque le volume passe « de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de références ».

En intégrant l’IA dans ses processus, Showroomprivé ne cherche pas seulement à réduire ses coûts de production, mais aussi à minimiser son empreinte carbone. Les déplacements pour des shootings physiques, souvent réalisés dans des lieux distants, sont remplacés par des productions entièrement numériques. Les modèles développés par Veeton, optimisés pour consommer moins d’énergie, permettent de réduire l’impact environnemental de la production visuelle. « Nous réduisons l’empreinte carbone en évitant les déplacements pour des shootings. Nos modèles sont aussi conçus pour être frugaux en énergie, avec une empreinte bien inférieure aux giga-modèles généralistes », explique Flore Lestrade.

La prochaine étape ? Comparer directement les performances des visuels générés avec les photos classiques sur le site de Showroomprivé. Ce test grandeur nature permettra d’affiner encore la technologie et de consolider son adoption à grande échelle.